Le billet du vaurien
Brassaï disait que bien plus qu’un roman sur la jalousie, l’amour, le temps ou la mémoire involontaire, La Recherche était un traité sur le sadisme. À une nuance près, et, sur laquelle Proust reviendra souvent, à savoir que seul un être vertueux, pétri de bons sentiments, peut devenir sadique, ou, comme il l’appelle, « un artiste du mal », ce qu’une créature entièrement mauvaise ne pourrait pas être, car le mal lui semblerait tout naturel. N’ayant ni le culte de la vérité, ni la mémoire des morts, ni la tendresse filiale, « il ne trouverait pas un plaisir sacrilège à les profaner. »
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Sur la profanation, inutile de rappeler l’épisode de l’amie de Mademoiselle Vinteuil crachant sur la photo de son père, scène romanesque qui préfigure celle, bien réelle, où Proust incite dans un bordel pour hommes de petites frappes à cracher sur les portraits de sa mère.
Proust avait d’ailleurs rêvé d’écrire une pièce de théâtre sur le thème du sadisme. Et gardons-nous d’oublier l’article qu’il donna au Figaro sur « Les sentiments filiaux d’un parricide. » Il n’est pas une mère, observe-t-il, qui ne soit en mesure d’adresser ce reproche à son fils : « Qu’as-tu fait de moi ! Qu’as-tu fait de moi ! », exclamation rapportée par Proust et que pousse Madame Blarenbergh ruisselante de sang avant de s’effondrer poignardée par son enfant.
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Ce cri, je l’ai ressenti au fond de moi-même comme la plainte de ma propre mère quand je pénétrais en catimini dans sa chambre encore obscure où je la tirais du sommeil par un tonitruant et lugubre : « Ich bin der Tod ». Oui, que n’ai-je pas fait à ma pauvre mère ! Il est vrai que la lecture de Thomas Bernhard l’avait vaccinée. Et c’est en lisant Extinction qu’elle s’est endormie pour ne plus se réveiller. Elle goûtait beaucoup cette phrase de Thomas Bernhard : « Nous Autrichiens sommes la vie en tant que désintérêt général pour la vie. »
Je ne lui serai jamais assez reconnaissant de me l’avoir transmise.
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