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Les grands écrivains ont tous un vélo dans la tête

Christian Laborde publie "Darrigade: le sprinteur du Tour de France"


Les grands écrivains ont tous un vélo dans la tête
Sur cette photo de 1960, le cycliste André Darrigade apparait en 2e position © John Pierce Owner PhotoSport Int/REX/SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40737707_000001

Christian Laborde s’offre Darrigade au sprint


C’est avant tout une question de respect. Un mot bien incongru dans notre actualité déclinante. Un de ces mots trop usés, trop essorés, trop affaiblis, dépossédés de toute sa symbolique par trente ans de laisser-aller, d’abandons et de résignation. Cet été, l’amertume a gagné la partie dans les rues de France. L’humeur n’est plus vagabonde, elle est rance. Inconsolables et masqués, nous avançons sans but, ni élan, pétris de protocole sanitaire, les mains desséchées par le gel hydroalcoolique, perclus d’incertitudes. Je parle ici de respect pour la performance, pour la saine douleur, pour des heures d’entraînement, pour cette sueur salvatrice, pour cette impossible victoire au sommet d’un col ou à l’issue d’un sprint à touche-touche, pour cette parenthèse enchantée de trois semaines au cœur des vacances, cette année, elle aura étrangement démarré aux prémices de l’automne. 

La vie en jaune

Et un berrichon à belles bacchantes y a déjà imposé son attitude bravache et son sens du tempo endiablé. Les légendes de la fable ronde, ces héros du Tour de France nous poussent à voir la vie en jaune et nous ramènent aux vérités essentielles de la tragédie grecque. Avec eux, il est question de temps, de lieu et d’action ; leur geste chevaleresque nous rend plus sensible à la brutalité du monde. Ils en portent l’écho lointain. Ils sont nos meilleurs rédempteurs face aux crises existentielles que nous traversons. Ils pédalent pour une couronne et aussi, pour nous faire oublier notre misérable statut de sédentaire, d’anémié télévisuel, de fainéant authentique, ils nous indiquent alors un chemin étroit, piégeux, ambigu, où le sacrifice est la monnaie quotidienne. 

A relire: Le maillot jaune a cent ans!

À défaut de les accompagner sur la route, en danseuse, nous les regardons, admiratifs et bêtes, heureux et reconnaissants de nous élever spirituellement. Les cyclistes, ces moines en cuissards, donnent leur véritable sens aux mots et à la langue, ils en extraient une pulpe fraîche, le suc des renaissances. La résistance, la combativité, la chute, le talent, la force, le style ou l’injustice sont leur dictionnaire, à chaque départ d’une nouvelle étape, ils révisent leur grammaire de l’effort. Oui, nous leur devons un immense respect. Les écrivains ont pleinement conscience que, face aux champions, ils ne peuvent et surtout, ils ne doivent plus tricher. Avec les autres, les hommes politiques, les artistes, les élites endimanchées, ils s’autorisent à biaiser la réalité, à l’enjoliver, à la trahir peu ou prou. Peu importe, ces pages écrites ne comptent pas vraiment. Avec le vélo, l’auteur a un sursaut d’orgueil qui lui interdit le travestissement perpétuel. Il est face à un miroir. Le cyclisme n’est pas un amusement ou un divertissement, c’est une école de la rigueur et de la remise en cause permanente. 

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Christian Laborde. Photo: Sipa. Numéro de reportage : 10001137_000002.

De Fallet à Blondin

C’est pourquoi les écrivains, de Fallet à Blondin, ont toujours haussé leur niveau d’écriture quand ils évoquent le vélo. Ils hissent leur plume pour tutoyer ces forçats-là, pour leur rendre un hommage sincère. Aucun autre sport, à part peut-être, l’alpinisme et la compétition automobile quand elle possédait encore sa propre dramaturgie, ne contraignent les écrivains à jouer dans une catégorie supérieure. Christian Laborde, le palois fantastique, poète cyclopédique à la culture universelle, le verbe haut et la prose dansante, a chaussé, encore cette année, ses cale-pieds pour panthéoniser une ancienne gloire « André Darrigade » aux éditions du Rocher. Nous prenons plaisir à l’écouter sur les ondes, ce puncheur des mots, insatiable, à la recherche de la formule lyrique, sait aussi se faire nostalgique, tendre et épidermique quand on l’attaque, par exemple, sur Lance Armstrong. Il reste et restera son indéfectible défenseur vibrionnant. Laborde s’est fait une opinion sur le bonhomme depuis longtemps, il ne transigera pas. 

Un écrivain qui n’oublie pas les grands champions

Dans ce dernier beau livre illustré, plein de flambe et d’émotions taquines, Laborde maîtrise son sujet, il nous rappelle qui fut Darrigade, le landais âgé aujourd’hui de 91 ans. C’est charmant comme une Nationale bordée de platanes. C’est éruptif et instructif, les étapes gagnées par Darrigade nous paraissaient provenir du fond de l’histoire, pourtant Laborde, léger et sensible, les exhume avec une hargne que Nougaro aurait appréciée. Quand je vous parlais de respect, nous y sommes. Un écrivain n’oublie jamais les grands champions et il cicatrise par sa plume toutes nos émotions du passé. Le vélo est une musique intérieure, Laborde son concertiste délicat.

Darrigade de Christian Laborde – éditions du Rocher.

Darrigade: Le sprinteur du Tour de France

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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