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Le poids des mots, le flop des tribunaux

Violences impunies: Darmanin pourra-t-il compter sur Dupond-Moretti?


Le poids des mots, le flop des tribunaux
23 août 2020 à Paris © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22485757_000032

Ensauvagement, « racailles »… Le déconfinement s’est immédiatement accompagné d’une flambée de violences aux quatre coins du pays, et de discours virulents. La sécurité apparait chaque jour comme le principal talon d’Achille de la présidence Macron, et une question trotte dans certaines têtes place Beauvau: Dupond-Moretti œuvrera-t-il dans le bon sens ? Sa parole est très attendue.


Il faudrait toujours se garder des procès d’intention. Mais, la justice étant sous le feu des critiques en cette rentrée, on se demande si l’avocat Eric Dupond-Moretti – nommé garde des Sceaux – sera bien l’homme de la situation.

Selon une enquête d’opinion publiée hier (ELABE / BFMTV), six personnes sur dix estiment que la situation actuelle en matière de sécurité des biens et des personnes en France est « mauvaise ». 16% des personnes interrogées la jugent carrément « très mauvaise ». Trois Français sur quatre estiment par ailleurs qu’il leur arrive de ressentir personnellement ce sentiment d’insécurité. Pas moins de 19% des personnes interrogées disent se sentir en insécurité “souvent”. Et “de temps en temps” pour 55% des autres. Bigre ! N’est-ce vraiment qu’un simple sentiment ?

Coup de chaud pour le gouvernement

Durant tout l’été, alors que les faits divers violents proliféraient, la rhétorique médiatique et politique n’a eu de cesse de se muscler. 

Nommé place Beauvau le 6 juin, Gérald Darmanin osait les sorties verbales les plus audacieuses. Mais il n’obtenait en retour que des polémiques, là où les Français attendent des résultats. L’opinion a vite réalisé que toute cette agitation visait à séduire l’électorat de l’ancien président Sarkozy, électorat qui n’a jamais pardonné à ce dernier d’avoir remisé son Kärcher au placard sitôt la campagne électorale de 2007 terminée…

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Face à la multiplication d’actes d’une violence sordide et souvent absurde, les termes autrefois réservés à la droite la plus radicale sont repris par un nombre croissant de politiques dans leurs déclarations publiques (“ensauvagement”, “racailles”). De leur côté, les gazettes usent de tous les superlatifs pour commenter un été fort agité. 

Des morts violentes et absurdes ont émaillé l’été

Le 4 juillet, la gendarme Mélanie Lemée est volontairement fauchée par un chauffard refusant de se plier à un contrôle dans le Lot-et-Garonne. Le lendemain, un chauffeur de bus de Bayonne meurt sous les coups de voyous ne respectant pas le port du masque et refusant de se soumettre à un contrôle des tickets. L’émotion qui gagne le pays après ce lynchage à mort est vite palpable. Le ministre de l’Intérieur montre les muscles. Il se rend sur place. Il affirmera qu’il est “très inquiet pour la République lorsqu’ [il voit] des gens qui, très clairement, sur notre sol, souhaitent vivre dans une autre société que la nation française”. Lucide sur nos maux, il ajoute qu’il faut “stopper l’ensauvagement”, suscitant des réprobations. Le président Macron parlait lui d’”incivilités”, mettant la droite en émoi.

En août, à Palavas-les-Flots, devant des débordements répétés et des agressions en tout genre de jeunes extérieurs à la ville, les habitants s’organisent et manifestent derrière des banderoles du collectif «Tout n’est pas permis à Palavas ». Les plages sont fermées le soir, mais les incidents continuent d’électriser la saison touristique, excédant commerçants et habitants d’une ville habituellement paisible. À la fin du même mois, à Besançon, une adolescente ayant fugué avec son amoureux est tondue par sa famille, musulmane, qui n’aurait pas accepté qu’elle fréquente un chrétien ! Cette famille n’a « rien à faire en France », juge Darmanin, promettant une future expulsion du territoire. Drôle de mayonnaise. 

Il n’y a plus de manifestation sans affrontements en France

Le 23 août, lors d’une finale de football, les images de Paris reprises en boucle sur les télés ont indigné les citoyens. Sur les Champs-Élysées, on est une fois encore venu pour tout casser. Malgré 3000 policiers déployés, 16 membres des forces de l’ordre sont blessés, 12 devantures de commerce vandalisées, 15 voitures brûlées, retournées ou ont les vitres brisées. On dénombre 148 interpellations, et encore plus d’habitants terrorisés et d’enfants en pleurs. Pire, on sait que si le club de la capitale avait remporté la coupe, la soirée aurait été encore plus dévastatrice. Piteux.

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Parmi les policiers, les syndicalistes les plus va-t-en-guerre voient enfin se tendre vers eux les micros. Leurs propos sont repris par des journaux, assoiffés d’info durant la période creuse de l’été. Les gazettes usent de tous les superlatifs. Elles sont vite rejointes par les chaînes d’informations et les radios, qui se lancent dans la bataille des audiences alors que démarre la nouvelle saison des principales émissions. 

Dictature de la violence : société et médias appellent à l’aide

Le hashtag #Justice Pour Augustin devient numéro 1 sur Twitter le 23 août, quand le frère et la mère du jeune homme témoignent qu’il s’est fait casser la figure sur la place Bellecour, en plein centre-ville de Lyon, par « un groupe de cinq racailles” (dixit la famille) alors qu’il portait secours à un groupe de filles qui se faisait importuner.

Matin et soir, les policiers dénoncent l’impunité des personnes interpellées. Cette accumulation de violences contredit le discours musclé du gouvernement Castex et offre à Darmanin ses premiers revers alors qu’à peine nommé, il imposait son discours martial.

Selon un édito d’Yves Thréard du Figaro – pas franchement le plus virulent de nos éditorialistes – la France est carrément tombée sous le régime de la “dictature de la violence”. Selon lui, quels que soient la manifestation ou l’évènement que l’on célèbre, la mythique avenue des Champs Élysées, autrefois plus belle avenue du monde, est devenue l’avenue de la honte. Devant tous ces faits déplaisants, les Français ne veulent plus des discours, mais des résultats tangibles, et un coup d’arrêt à cet ensauvagement dont on leur parle tant. Le philosophe Michel Onfray accuse le gouvernement d’acheter la paix sociale en laissant les casseurs de banlieues opérer. Il ose la comparaison avec la répression plus sévère des gilets jaunes. La maire du 8e, Jeanne d’Hauteserre, veut interdire les manifestations dans son secteur. Et tout le monde trouve normal qu’une demande aussi ubuesque soit désormais légitime !

Dupond-Moretti occupé ailleurs

Alors que la capitale allait subir les violences autour du match du PSG, Dupond-Moretti préparait son débat… chez les Verts. C’est le “en même temps” bien connu de la macronie : pendant que Darmanin fait le dur, le garde des Sceaux est occupé à se faire pardonner pour des propos passés sur le parti EELV. “Mais non vous n’êtes pas tous des ayatollahs verts, il y a aussi des écologistes raisonnables, c’est comme ces féministes, elles ne mordent pas toutes dès le premier soir”, et autres fadaises etc. Il précisera aussi sa position sur la chasse, lors d’échanges à n’en pas douter passionnants à Pantin. Rien de plus urgent ? 

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On apprend au même moment que le nouveau ministre s’inquièterait surtout de la défiance qui s’est installée entre les citoyens et leur justice. Drôle de sens des priorités. Pour y pallier, l’ancien ténor du barreau entend secouer les magistrats, c’est vrai, mais le grand chantier qui l’obsède est la simplification des relations entre le justiciable et les institutions. Il a aussi commandé une mission sur les suicides en prison, et ne compte pas lancer la construction des places qui nous manquent. De façon générale, ses déclarations sont de toute façon en faveur des alternatives à l’enfermement. 

De plus, notre débat public a été accaparé ces derniers mois par ces curieux militants antiracistes dont Causeur parle quotidiennement, et par des fariboles sur les “violences policières” (alors qu’il faudrait à la rigueur parler de violences de certains policiers, ou de bavures). Ces débats ont anesthésié des bonnes volontés dans les rangs de la police. Suite aux exactions commises le 23, et à la centaine d’interpellations sur les Champs Élysées évoquée plus haut, combien comptera-t-on de réelles poursuites parmi ces sauvageons reconnaissables sur les images diffusées dans les médias ? Les quelques peines prononcées en comparution immédiate (jusqu’à dix mois de prison) peuvent sembler légères au vu du sentiment d’impunité totale et de la barbarie de certaines scènes de violence. 

Des doutes pour la suite

On n’a pas non plus entendu le nouveau gouvernement dire s’il comptait on non revenir sur la circulaire Belloubet, émise en pleine crise du coronavirus. Ce texte du 20 mai, qui subordonne les peines prononcées à la disponibilité des places de prison, était bien résumé par la patronne de Causeur : “peu ou prou, en somme c’est comme à l’hôtel. Ah non, monsieur, désolés, nous n’avons rien pour vous. Alors vous êtes libre.”

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De sensibilité de gauche (il a milité pour Martine Aubry il y a quelques années), Dupond-Moretti a jusqu’à présent fait preuve d’un sens politique certain. Les Français font connaissance et observent leur nouveau ministre de la Justice.

Face à la violence de leur société, ils méditent amèrement. La macronie devrait se méfier de l’eau qui dort.



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