Ça sent déjà le propre. Nicolas Sarkozy a « dégagé », dit-on élégamment. La République était « salie », il s’agit de la nettoyer − au karcher, bien entendu. Quelques épurateurs de bas étage ont donc entrepris d’assainir l’atmosphère et les esprits, infectés depuis cinq ans par une islamophobie venue d’en haut et propagée par une camarilla d’éditorialistes et intellectuels à la solde de l’ancien pouvoir. Zemmour, par exemple, dont Dominique Sopo, le patron de SOS Racisme, a déclaré dans Le Monde qu’il ne voulait plus l’entendre, alors qu’attend-on ? Le changement, c’est tout de suite ou c’est maintenant ?
Tout leur est bon pour attaquer l’islam. Quand un fou isolé, sans doute poussé à bout par l’humiliation et la pauvreté, assassine sept personnes, ils dénoncent les extrémistes ou les islamistes et jurent qu’ils n’ont rien contre les musulmans, mais cela ne trompe personne : ils sont racistes et islamophobes. En revanche, ils hurlent à l’antisémitisme dès que des gamins un peu turbulents disent des bêtises sur Hitler ou célèbrent comme un héros l’assassin fou et isolé.
Leur tour viendra. Mais l’urgence, c’est de désigner les ennemis de l’intérieur. Depuis longtemps, des fanatiques de la justice et de la tolérance ont dans leur viseur Hassen Chalghoumi, président de l’association culturelle des musulmans de Drancy, que certains, sans doute des gamins turbulents, ont baptisé « l’imam des juifs ».
Ils avaient déjà tenté de l’expulser manu militari de la mosquée qu’il occupe indûment, qui fut placée sous protection policière – preuve qu’il roulait pour Sarkozy. Une petite troupe de « militants et intellectuels » (militants, c’est certain) a publié le 9 juin sur internet une pétition réclamant sa démission. Ils reprochent à Chalghoumi d’avoir approuvé « la loi liberticide interdisant le port du voile intégral en France » et de s’être alarmé, après les élections en Tunisie, « de la volonté d’Ennahda d’imposer la charia ». En clair, ces défenseurs d’un « islam empreint des valeurs de dignité, d’éthique, de justice et de liberté » ne digèrent pas que l’imam de Drancy soit modéré. Et républicain. Mais surtout, il a commis, et par deux fois, une faute plus grave encore: « En collaboration avec le CRIF, il va parader en Israël où il apparaît notamment au côté de Caroline Fourest, Élisabeth Levy et Alain Finkielkraut, personnalités dont les prises de position à caractère islamophobe ne sont plus à démontrer ». Pourquoi démontrer quand on peut calomnier ?
Hassen Chalghoumi, votre servante et une cohorte d’intellectuels français et israéliens – chrétiens, juifs, musulmans et athées − ont effectivement participé du 5 au 7 juin à un forum intitulé « Démocratie et religion », organisé par Olivier Rubinstein, directeur de l’Institut français d’Israël[1. Curieusement, le correspondant du Monde n’a pas remarqué que parmi les participants invités à plancher sur la difficile équation d’un « Etat juif et démocratique », figuraient nombre d’Arabes, chrétiens et musulmans: « Mais bien sûr que la religion est politique ! », Laurent Zecchini, Le Monde, 17 juin 2012.]. Le CRIF n’avait rien à voir avec cette manifestation, et n’y était pas invité, mais pourquoi se priver quand quatre lettres suffisent à déclencher la machine à fantasmes ? Au cours des débats, l’imam de Drancy a plaidé pour une stricte séparation de la religion et de la politique. Durant son séjour, il a rencontré des dignitaires musulmans israéliens et des responsables palestiniens, notamment le ministre des Affaires religieuses, qui s’est dit inquiet de voir la cause palestinienne instrumentalisée par n’importe qui. Pendant ce temps, en France, un torrent de menaces et d’injures se déversait sur lui.
Qu’on ne croie pas que ces « militants et intellectuels » soient antisémites. Ils n’aiment pas les sionistes et ceux qui leur parlent, c’est tout autre chose. Certes, les grandes boutiques antiracistes ne sont pas de la partie. À l’exception de Rokhaya Diallo, qui officie sur RTL et Canal+, les signataires appartiennent à la frange extrême et marginale du lobby de la « diversité » et de l’islam militant : Indigènes de la République, oumma.com. Peut-être est-ce leur faire beaucoup d’honneur que de commenter leur prose glaçante – encore qu’on aimerait être sûr que leur influence soit nulle. L’ennui, c’est que ces obscurs tacherons de la haine ont des jumeaux dans les plus hautes sphères, comme l’a montré l’affaire Boualem Sansal. Cette année, le jury du Prix du roman arabe, parrainé par l’Institut du Monde arabe et le Conseil des ambassadeurs arabes en France (mécène de la distinction, dotée de 15.000 €) a honoré cet écrivain, qui dit ne pas se considérer comme musulman, mais persiste à vivre dans son pays, l’Algérie. Et voilà que ce traître se rend, lui aussi, en Israël, à l’invitation du Festival du livre de Jérusalem. Les excellences ont vu rouge et sommé le jury, où siègent notamment la courageuse intellectuelle tunisienne Hélé Beji et Olivier Poivre d’Arvor, de désigner un lauréat plus convenable. Les jurés ont sauvé l’honneur en démissionnant en bloc. Sansal a eu le prix, pas l’argent.
Aller en Israël, tel est le crime le plus impardonnable, dont les coupables doivent être pestiférés. Ainsi voit-on s’affirmer, de nos banlieues aux capitales arabes, une fraternité de la haine. Or, dans le tourbillon de nos occupations, nous laissons trop souvent seuls en première ligne ceux qui risquent leur tranquillité, et parfois leur vie, pour défendre une autre vision de l’islam et de l’humanité. Tant qu’il y aura des Hélé Béji, des Hassen Chalghoumi, des Boualem Sansal et tant d’autres, célèbres et anonymes, je résisterai à la tentation de l’islamophobie. Mais en relisant la pétition signée par certains de mes concitoyens, je me dis qu’il y a des gens avec qui on n’a pas envie de vivre-ensemble.
Cet article en accès libre est l’éditorial du numéro 48 de Causeur magazine. Pour lire l’intégralité de ce numéro, achetez-le ou abonnez-vous sur notre boutique en ligne.
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