Lire en été : au hasard des bouquinistes, des bibliothèques des maisons de vacances, des librairies, le plaisir dilettante des découvertes et des relectures, sans souci de l’époque ou du genre.
Frédéric Fajardie avait beau être une des plus belles plumes du néopolar français et comme tant d’autres à cette époque avoir fait ses premières armes du côté des grenadiers voltigeurs de la Gauche Prolétarienne, il n’en était pas moins un écrivain totalement libre, capable de passer à la sulfateuse bernanosienne la gauche mitterrandienne au pouvoir dans un essai mémorable, Chronique d’une liquidation politique (La Table Ronde, 1993).
Celui qui me présenta ADG
Il n’était pas non plus franchement sectaire puisque c’est lui qui me présenta ADG et que nous avons tous les trois passé quelques déjeuners mémorables du côté de la Tour de Montlhéry. Aujourd’hui, tous les deux sont morts et tous les deux me manquent. Alors je relis régulièrement l’un ou l’autre, chose assez rare en ce qui concerne les auteurs de noir pour être signalée.
Mais précisément, Un homme en harmonie de Frédéric Fajardie est-il un roman noir ? Quand il écrivait des polars, Fajardie transformait chacun de ses héros en combattants du désespoir. Vaincus d’avance par la société des années 80, leurs dérives sanglantes étaient une manière de gifler l’époque, les certitudes confortables et ceux qu’on appelait alors les yuppies. Solitaires et compétents, ils emmenaient avec eux outre des pistolets mitrailleurs, un fort sentiment d’irréparable et une nostalgie infinie de l’enfance.
Fasciné par les soubresauts de notre siècle, Fajardie aimait donner une dimension historique à ses romans noirs. Déjà, Le souffle court marquait l’irruption mémorable des oustachis dans la littérature policière tout en annonçant avec une dizaine d’années d’avance ce que serait la guerre en ex-Yougoslavie.
Autopsie d’une fêlure
Dans Un homme en harmonie, Fajardie montrait qu’on pouvait écrire sur la Résistance comme Melville l’avait filmée dans L’Armée des ombres : sans héroïsation lyrique. L’homme en harmonie, c’est le colonel Leroy-Clementi. En 1943, il commande aux 50 000 soldats de l’Armée secrète pour tout l’Ouest de la France. Chef de guerre, Leroy-Clementi est aussi un grand bourgeois déclassé, séduit par les communistes. Il est désinvolte, efficace, courageux, et surtout imprévisible. Il s’attire vite la méfiance puis la franche hostilité de l’état-major gaulliste à Londres qui cherche à le déstabiliser.
Entrelaçant Le journal des derniers jours de Leroy-Clementi et les minutes d’une instruction menée après la guerre, Fajardie avait réussi là l’autopsie d’une fêlure, celle qui lézarde son personnage tout en dressant le portrait froid d’une période passionnée. On retrouve aussi une toile de fond connue à laquelle l’auteur donnait vie avec une remarquable économie de moyens : tractions noires, maquisards, miliciens et SS. Cela suffit pourtant à poser quelques questions essentielles qui sont de toutes les guerres : jusqu’où peut-on se compromettre pour la bonne cause ?
Un homme en harmonie pose les problèmes éternels de l’honneur, de la trahison, et des frontières incertaines qui séparent les héros des salauds. Pourtant, il y a dans ce roman un refus systématique de la tirade moralisatrice et des subtilités stériles de la psychologie. Fajardie a gardé dans Un homme en harmonie le meilleur de la technique propre à ses polars: style rapide, sens très sûr de la violence, humour crispé. Imaginez simplement un instant Corneille revisité par Dashiell Hammett et vous aurez alors une petite idée de la réussite de ce roman.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !