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Didier Maïsto: «Nous sommes dans une séquence pré-révolutionnaire»

Entretien avec le patron de Sud Radio


Didier Maïsto: «Nous sommes dans une séquence pré-révolutionnaire»
Didier Maïsto. © Hannah Assouline

Ancien militant du RPR, le PDG de Sud Radio Didier Maïsto revendique sa fibre populaire. Ce soutien inconditionnel des Gilets jaunes dénonce la trahison des élites politico-médiatiques. Chroniqueuse sur son antenne, Elisabeth Lévy lui apporte la contradiction.


Causeur. Je dois préciser que vous êtes mon employeur puisque j’officie sur Sud Radio, la station dont vous êtes PDG. Votre livre tient de l’autobiographie, de la profession de foi politique et de l’investigation, car vous y relatez notamment le scandale de la chaîne Numéro 23. Pour un « passager clandestin », vous n’avez pas mal réussi.

Didier Maïsto. Je suis entré par effraction dans un certain nombre de milieux. Dans ma famille, c’était déjà compliqué. Mes parents étaient divorcés, et j’ai vécu avec mes grands-parents. Je n’ai certes pas manqué d’amour, mais j’ai dû devenir autonome très vite. À 18 ans, j’étais en hypokhâgne à Toulon, mais j’avais un peu le démon de l’aventure, je suis parti sillonner les routes d’Europe pour des courses de moto avec un cousin. Ensuite j’ai repris des études de droit et de lettres. Et j’ai intégré la rédaction du Figaro Magazine.

Et vous vous êtes retrouvé au RPR…

Si, trente ans avant les Gilets jaunes, j’ai rejoint le RPR, c’était par admiration pour les idées sociales et souverainistes de Philippe Séguin. Etant le fruit d’une immigration italienne complètement assimilée qui a pu prendre l’ascenseur social, je suis attaché à la nation française. J’adore la France avec ses excès, ses manques, ses frustrations, ses affrontements spectaculaires. J’ai travaillé pour quatre députés, avec des ministres, des hauts fonctionnaires, créé le Club du 4 novembre pour soutenir la candidature de Jacques Chirac, alors que toute la classe politique et les médias étaient sous le charme d’Édouard Balladur. Comme ils le seront sous celui d’Emmanuel Macron en 2017…

Didier Maïsto. © Hannah Assouline
Didier Maïsto.
© Hannah Assouline

L’élection de Chirac a été un vaste malentendu, pour ne pas dire une arnaque…

Sans doute : on avait fait campagne sur la fracture sociale, la France pour tous, bref les idées de Séguin, et on s’est retrouvé avec Juppé à Matignon !

Tout ce que vous avez vu dans le monde politique vous indigne, des accointances libyennes de Patrick Ollier aux réseaux d’intérêts sur le mode « passe-moi la rhubarbe, je te file le séné ». Ce n’est pas très nouveau dans les collectivités humaines.

Que des individus ou des groupes humains perdent de vue l’intérêt général, tant qu’ils ne sont pas financés par l’argent public, et tant qu’ils prennent leurs responsabilités dans leurs entreprises ou clubs sportifs, même si c’est contestable sur le plan moral, ça reste leur affaire. La politique, c’est autre chose…À l’issue des années Mitterrand (une autre belle arnaque !), l’opposition prétendait incarner une volonté populaire. J’étais tout jeune, ma déception a donc été à la mesure de mes attentes. J’ai compris que le pire endroit pour faire avancer des idées, c’était un parti politique !

Tout de même, vous avez bien dû rencontrer des gens intègres, soucieux de respecter leurs promesses ?

J’ai rencontré des gens intègres, qui respectaient leurs promesses… jusqu’à un certain point. Mais vous devez suivre la ligne du parti. Sinon, vous êtes broyé. D’abord parce que les investitures sont données par les partis politiques. Ensuite parce que la Ve République n’est pas du tout une démocratie parlementaire, mais une monarchie républicaine…

Peut-être, mais elle a la faveur des Français…

En êtes-vous sûre ? Aujourd’hui, nous assistons à un mouvement mondial de protestation des citoyens – désigné comme populiste –, qui exprime surtout une demande forte de participation à la vie publique. Seulement, la politique est devenue un métier et même le métier de ceux qui n’en ont pas ! Et quand vous êtes payé, forcément vous n’allez pas scier la branche sur laquelle vous êtes assis…

Ce n’est pas dans la politique que l’on fait fortune de nos jours !

Je ne suis pas inspecteur des impôts, mais dès qu’on s’intéresse au sujet, on découvre des patrimoines immobiliers sans commune mesure avec l’argent déclaré !

Vous évoquez une corruption endémique et généralisée. A supposer que cela ait existé à ce point, il n’est pas sûr que cela perdure, alors qu’on se demande parfois qui, du politique ou du juge, gouverne le pays.

Je ne suis pas non plus pour la République des juges ou l’inquisition. Mais tous les citoyens doivent être jugés de la même façon. Or, les dernières affaires démontrent à quel point la Justice obéit au pouvoir politique. Pour les campagnes présidentielles, les dépenses sont plafonnées à 22 millions, mais une campagne coûte cinq fois plus cher. Tout le monde le sait et pourtant la Commission des comptes de campagne et le Conseil constitutionnel valident tout. Au bout du bout, les élus sont rarement inquiétés. Et on peut découvrir des années plus tard que des gens qu’on pensait être parangons de vertu cachaient des choses. Pensez aux comptes en Suisse de Raymond Barre…

Les comptes en Suisse, c’est une chose, les finances de campagne une autre. Et puis, trouvez-vous que Nicolas Sarkozy n’est jamais inquiété ? On a écouté ses conversations avec son avocat, espionné d’autres avocats, Mediapart ne le lâche pas d’une semelle et il n’y a pas de condamnation. Alors, si la justice est aux ordres, c’est à ceux de l’opinion et des médias, pas du pouvoir.

La justice est aux ordres… et les ordres changent en fonction des majorités. En dépit du retentissement médiatique, on s’intéresse à des détails. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, l’histoire du juge de Monaco est croquignolesque, mais dérisoire. Ce qui est beaucoup plus important, ce sont les rapports qu’il a eus avec Mouammar Kadhafi, les possibles potentiels financements, l’accueil qu’on lui a réservé, alors que c’était un terroriste international.

On a négocié l’accueil contre un arrêt de son soutien au terrorisme. C’était peut-être une mauvaise décision politique (quoique), pas une faute pénale.

Mais Kadhafi a été assassiné – je pèse mes mots – et les mêmes qui allaient se prosterner sous sa tente gardée par ses fameuses Amazones – en réalité ses esclaves sexuelles dont certaines avaient à peine 14 ans – ont applaudi au nom des droits de l’homme. Quant au terrorisme, il se développe partout. On a eu la défaite, plus le déshonneur.

Kadhafi n’était pour rien dans les attentats de l’EI. Cela dit, voulez-vous vraiment être gouvernés par des gens exemplaires et ternes ?

Que nous ayons des dirigeants hauts en couleur, dotés d’une faconde mode Balkany, impolis comme peut l’être Sarkozy, très bien. Les comportements et les paroles à la Audiard, c’est truculent, c’est la France, on aime ça, on préfère des élus qui nous ressemblent, et qui ne soient pas tout gris. Mais on peut aussi être tout cela, tout en restant honnête.

La plupart des gens ne sont pas malhonnêtes, sans être honnêtes à 100 %. Vous confondez les petits manquements et la corruption de haut vol, le financement politique et les comptes en Suisse. Du coup, le monde est divisé entre les voleurs et les volés. Cette conception est très largement partagée par les Gilets jaunes. Dès le début du mouvement, vous êtes, racontez-vous, redevenu journaliste. Téléphone portable en main, vous avez relaté tout ce que vous voyiez. Et vous écrivez : « J’aime les Gilets jaunes, sans restriction. » Aucun rédacteur en chef ne demanderait à un journaliste un reportage sur la femme qu’il aime. L’amour rend aveugle…

Ne soyez pas manichéenne avec moi comme l’ont été les médias mainstream avec les Gilets jaunes ! Je ne sais pas si je suis aveugle, mais la répression a quand même fait 25 borgnes. Ça, c’est la réalité.

Ne soyez pas manichéens avec les médias. Comme souvent, ils ont commencé par adorer, puis ils se sont lassés. Comme beaucoup de Français…

Les médias mainstream n’ont jamais « adoré ». Leurs principaux animateurs, de Patrick Cohen à Jean-Michel Aphatie, ont eu des propos terribles dès le début, sans jamais aller sur le terrain. Le service public n’a pas été en reste. Renaud Dély (France Info) a parlé de « vermine » et Roselyne Febvre, cheffe du service politique de France 24 a évoqué « une espèce d’écurie de branquignols », avec « un goût pour la violence, l’antisémitisme, le racisme, le complotisme, bref tout ce qu’il y a de pire chez l’homme ». Je ne l’ai pas inventé.

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Ça, ce n’était pas au début. Mais revenons à votre engagement.

Il y a eu un acte déclencheur. J’étais sur la route nationale 12, je me suis arrêté à un rond-point pour  parler avec les Gilets jaunes. En rentrant, incapable de dormir j’ai écrit un texte : « Je suis vulgaire comme un Gilet jaune ». Je parlais de la France laborieuse, la France de ceux qui fument des clopes et roulent au diesel, des ouvriers et des petits patrons. La France des troquets, du tiercé et des plats du dimanche. La France, qui n’est ni de droite ni de gauche – ou un peu des deux. La France des illettrés, des harkis, des légionnaires, la France des prostituées et des poissonnières, la France de ceux qui ont choisi la France pour y vivre, y travailler et y mourir. Bref, la France de ceux qui ne sont rien, mais pas personne.

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Ce texte a eu un fort retentissement chez les Gilets jaunes. Mais quand je me suis retrouvé dans l’émission de Pascal Praud, vous étiez la seule à me défendre, Maurice Szafran vitupérait et avait la bave aux lèvres. Gérard Leclerc était révulsé.

Eh bien, il y a des gens que vos idées révulsent. Mais quand vous parlez d’un « système basculant vers le totalitarisme avec l’aide de l’écrasante majorité des éditocrates », vous charriez grave. Dans un régime totalitaire, les gens seraient-ils sortis sur les ronds-points ?

Très vite les cabanes des ronds-points ont été détruites et les gens fortement verbalisés. Ensuite ils ont été mutilés. Avant la présidentielle, j’avais dit que si Emmanuel Macron était élu, nous basculerions dans le chaos et le soft-fascisme. Les médias mainstream s’en étaient offusqués. Et aujourd’hui ? C’est le syndrome de la grenouille plongée dans la casserole d’eau froide. Elle finit cuite.

Affrontements entre Gilets jaunes et forces de l'ordre près des Champs-Elysées, Paris 8 décembre 2018. © Lucas Barioulet/AFP
Affrontements entre Gilets jaunes et forces de l’ordre près des Champs-Elysées, Paris 8 décembre 2018.
© Lucas Barioulet/AFP

Je ne vois toujours pas de fascisme, même soft… Mais je vois chez les Gilets jaunes la tentation de la violence et la propension à transformer le désaccord politique en haine personnelle.

Au départ, les Gilets jaunes étaient pacifiques. Je reconnais que ceux qui ont eu le courage de continuer à manifester se sont radicalisés. Le pouvoir politique a fait faire le sale boulot aux forces de l’ordre. Emmanuel Macron a choisi la manière forte et le théâtre avec son « Grand Débat ». On voit le résultat. Même les policiers se retournent désormais contre ce pouvoir, qui pourtant ne tient plus que par… la police. Nous sommes dans une séquence prérévolutionnaire, plus aucune parole n’est perçue comme légitime.

Seulement, il n’y a pas le moindre projet révolutionnaire. Les manifestations se sont soldées par un nombre anormal de blessés graves, parmi les manifestants, mais aussi les policiers et gendarmes. Vous livrez à ce sujet un certain nombre d’observations troublantes.

Je suis loin d’être anti-flic. J’ai beaucoup de policiers et de gendarmes dans ma famille. Mais à l’acte X, le 19 janvier 2019, j’ai vu des jeunes gens, intimider, provoquer, insulter les policiers, puis franchir les cordons très tranquillement. C’est facile de lancer un slogan dans une foule, et de le faire reprendre par les plus excités. « C’est ta première manif, me disait-on, maintenant c’est comme ça ». À l’époque, il y avait encore beaucoup de familles, le mouvement ne s’était pas radicalisé.

Des policiers en civil dans une manif, c’est vieux comme le monde et c’est nécessaire, pour le maintien de l’ordre et pour le renseignement. Peut-être y a-t-il eu des manipulations. Mais vous avez tort de conforter les Gilets jaunes dans la conviction que leur colère leur donne tous les droits. Beaucoup ont participé aux saccages et empêché d’honnêtes commerçants de travailler. Fallait-il leur laisser l’espace public ?

Au début, les Gilets jaunes espéraient que les policiers allaient baisser les boucliers et que ça allait aboutir… Que le pouvoir allait se mettre autour d’une table et trouver une réponse politique.

Mais aboutir à quoi ? Se mettre autour d’une table avec qui ?

De toute façon, ça ne risquait pas d’arriver, alors que le pouvoir leur a livré une guerre.

Le président a débloqué 10 milliards et ceux qui avaient hurlé pour les cinq euros d’APL ont dit  que c’étaient des miettes. Peut-on occuper la rue pendant un an sans proposer de solution politique ?

Si vous me demandez s’il était pertinent de manifester autant, la réponse est non ! Les Gilets jaunes ne sont pas une force politique, ni apolitique : ils sont transpolitiques. Ils remettent en cause le système dit représentatif et demandent plus de participation…

Eh bien, après la Convention citoyenne pour le climat, j’aime encore plus la démocratie représentative, même imparfaite…

C’est encore une forme de représentation viciée, car cette convention a été encadrée par des militants verts radicaux, ce n’est pas très clair ce tirage au sort ! Mais je suis favorable à un recours accru au référendum. Bien sûr, il faut le réserver à des questions qui sont vraiment d’intérêt général, la relocalisation, l’industrie ou le système de santé sinon cela tournera forcément à une vaste réunion de copropriété ou chacun défendra son bout de trottoir !

Le système politique ne parvient plus à fabriquer de légitimité, et les élites sont décriées. Cela ne signifie pas que les Gilets jaunes soient légitimes pour imposer leurs points de vue.

En tout cas, les Gilets jaunes ont mis le doigt sur les vrais problèmes. Cependant, peut-être que le problème essentiel ne tient pas aux institutions, aux entités, aux fonctions, mais aux personnes qui les représentent ou les occupent. Donnez-nous de bons gouvernants, de bons juges, un bon président du CSA, un bon président de la République et vous aurez de bons gouvernés. Les Français ne sont pas si bornés. Rien n’est inéluctable, Sodome et Gomorrhe ont fini par être détruites.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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