Accueil Culture Roselyne Bachelot peut toujours se souvenir d’André Malraux les larmes aux yeux…

Roselyne Bachelot peut toujours se souvenir d’André Malraux les larmes aux yeux…


Roselyne Bachelot peut toujours se souvenir d’André Malraux les larmes aux yeux…
Albert Marquet, L'Atelier à Marseille, 1916

Pas de culture française! Pas de drapeau français! Pas de soldat inconnu! Pas de réel défilé!


« Me retrouver hier dans le bureau d’André Malraux, les larmes me sont montées aux yeux. Parce que, figurez-vous que quand j’étais petite fille, avant que le Général de Gaulle revienne au pouvoir – je revois – André Malraux venait chez mes parents et il y avait une grande salle à manger et je me cachais sous la table de la salle à manger. J’étais la petite fille de la Vème République, comme j’ai intitulé un de mes livres, et j’écoutais tous ces gens extraordinaires, tous les compagnons de Résistance de mon père et j’ai écouté, petite fille, André Malraux discutant avec mon père. Tout ça, ça remontait en grandes bouffées. C’était assez… c’était d’une émotion puissante. » Ainsi s’exprimait Roselyne Bachelot, devant un journaliste du Parisien, au lendemain de sa nomination à la tête du ministère de la culture. Puissent lui remonter, au milieu de ses « grandes bouffées » de souvenirs, quelques déclarations d’André Malraux relatives à la France, à l’Europe, à l’art et à la politique :

– « Nous savons désormais qu’on ne sera pas d’autant plus homme qu’on sera moins français. » Roselyne Bachelot saura-t-elle pousser le gouvernement à rompre avec l’universalisme droit-de-l’hommiste qui ne cesse de diffamer l’identité française ?

– « Pour le meilleur comme pour le pire, nous sommes liés à la patrie. Et nous ne ferons pas l’Europe sans elle. » Saura-t-elle pousser ses amis à rompre avec une Europe qui ne fait que creuser la tombe de notre civilisation en enterrant les nations ?

– « Comme l’amour, l’art a ses impuissants et ses imposteurs. » Saura-t-elle rompre avec ces impuissants et ces imposteurs qui attendent de l’argent public qu’il transforme leurs citrouilles en carrosses ?

– « On ne fait pas de la politique avec de la morale, on n’en fait pas sans non plus. » Saura-t-elle se souvenir des deux termes de ce dilemme et ne pas se réfugier sous la table du conseil des ministres lorsque toute morale aura disparu de la vie politique.

On ne succède pas en même temps à Malraux et à Jack Lang

Aura-t-elle une force d’âme suffisante pour succéder à André Malraux et non pas à ce « cher » Franck Riester qui n’aura été qu’un énième successeur de Jack Lang ? Pour cela, il faudrait que, au-delà de la conscience de la situation matérielle dans laquelle se trouvent les Français, la ministre prenne de toute urgence la mesure de la situation spirituelle dégradée dans laquelle se trouve le pays depuis des années.

Quelle est cette situation ?

Pas de réel défilé militaire ce 14 juillet. Ainsi en a décidé le Président de la République. Mais l’Arc de Triomphe, d’où partaient nos armées pour descendre l’avenue des Champs-Elysées, sera bel et bien empaqueté à l’automne 2021 par Christo. Il vient de mourir ? Qu’à cela ne tienne ! Le projet est maintenu. L’Elysée l’a confirmé. A la différence du Pont-Neuf empaqueté en 1985, l’Arc de Triomphe n’est pas neutre. C’est un lieu emblématique, un lieu sacré de la Nation où repose un soldat français mort pour la Patrie et sous lequel se déroule quotidiennement le ravivage de la flamme du souvenir.

Se réinventer avec Christo pour mieux ensevelir l’idée de nation

Le Président Emmanuel Macron souhaiterait-il impressionner les Français par une réalisation spectaculaire et ainsi les amener, à la veille de l’élection présidentielle, à admettre que ce n’était pas sans raison qu’il avait déclaré à Lyon en février 2017 qu’il n’y avait pas de culture française ? Car Christo n’était pas français, il avait quitté la Bulgarie pour la France en 1958 et s’était installé en 1964 à New York où il avait pris la nationalité américaine.

Dimanche à Port-en-Bessin, Georges Seurat, 1888
Dimanche à Port-en-Bessin, Georges Seurat, 1888
La Fête nationale au Havre", Albert Marquet, 1906
La Fête nationale au Havre, Albert Marquet, 1906

« Moi, l’art français, je ne l’ai jamais vu », avait répété le candidat Macron quinze jours plus tard à Londres. Chaque Français pourra donc se « réinventer » avec le Président et ce d’autant plus aisément qu’il n’y a aucun art français dans cet empaquetage. Il n’y a même aucun art. Tout juste une manie de lilliputien rêvant de déménager les appartements de Gulliver.

En pleine crise des gilets jaunes, le pouvoir inaugurait au pied du grand escalier de l’Opéra Garnier deux pneus de tracteurs dorés à la feuille d’or. Devant cette réalisation d’un artiste dont la vulgarité est sans doute, aux yeux de ses promoteurs, la preuve qu’il n’y a pas de culture française, que fit l’opposition ? Comme à son habitude, elle se réfugia sous la table, craignant plus que tout d’être ringardisée par les médias.

A peine le pays sortait-il de la crise du coronavirus que l’on vit le pouvoir s’apprêter à mettre un genou à terre devant les manifestants anti-blancs, désavouer nos policiers, se mettre à douter devant des racialistes qui appelaient à déboulonner la statue de Colbert, et finalement livrer la place Charles-de-Gaulle et son Arc de Triomphe aux équipes de Christo. En octobre 2021, celles-ci « déboulonneront », à leur manière, l’effigie du soldat inconnu qui a sûrement à se faire pardonner d’avoir donné sa vie pour son pays.

L’idéologie diversitaire contre la France

Depuis une trentaine d’années, certains responsables politiques, certains ministres et pas des moindres, un président de chambre haute également, eurent entre les mains un projet d’exposition conçu au départ pour le bicentenaire de la Révolution française.

Intitulé Bleu, blanc, rouge, les couleurs de la France dans la peinture française, ce projet était aux antipodes du défilé que le publicitaire Jean-Paul Goude imagina à la demande du Président François Mitterrand pour célébrer, à rebours de toute idée de patrie et de nation, l’idéologie diversitaire. Avec près de cent-cinquante peintures, ce projet d’exposition se proposait de faire prendre conscience aux Français, notamment aux plus jeunes, du caractère singulier de leur drapeau : si celui-ci était l’emblème d’une révolution politique, il était aussi celui d’une révolution esthétique. Encore eût-il fallu que nos élus, à genoux devant Bruxelles, n’aient pas secrètement rayé de notre Constitution le second alinéa de son article 2 : « L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge ».

L’emblème d’une peinture révolutionnaire née en France

L’insistance avec laquelle nos plus grands peintres de Manet à Picasso se plurent à le faire figurer dans leurs œuvres et à en faire parfois le sujet essentiel de leurs tableaux ne laisse pas d’étonner. Accompagnant le développement de la peinture moderne, il s’est en effet prêté à tous les styles, comme si – au-delà du symbole de la révolution française – il entendait également devenir, avec les impressionnistes, les fauves et les cubistes, le symbole de la grande révolution de la peinture moderne. Aucun autre drapeau n’eut cet honneur.

Il existe à cela des raisons historiques. La rencontre entre la nouvelle génération de peintres en rupture avec l’art officiel de leur temps et les généreux pavoisements de la Troisième République en est une. Le sentiment patriotique, exacerbé par la défaite devant la Prusse en 1871 et la conscience d’appartenir à une nation en charge des progrès du genre humain jouèrent sans doute également leur rôle. La raison essentielle est cependant ailleurs : avec ses deux couleurs primaires de part et d’autre du blanc, notre drapeau se prêtait magnifiquement à cette aventure picturale qui consistait à soumettre davantage le sujet représenté à la palette du peintre.

Le rejet d’un art officiel

S’il est possible de lire dans La rue Montorgueil de Monet ou dans La rue Mosnier de Manet une adhésion aux valeurs de la République, nous sommes loin, avec ces deux œuvres, de cette Liberté guidant le peuple par laquelle Delacroix voulut faire connaître son approbation des trois journées de juillet 1830. Malgré l’admiration que lui portaient les jeunes générations et un rejet commun de l’académisme, Delacroix s’inscrivait dans la continuité du grand art de la Renaissance. Il en était en quelque sorte le dernier soubresaut.

La rue Montorgueil, Monet 1878
La rue Montorgueil, Monet 1878
La Rue Mosnier aux drapeaux, Manet 1878
La Rue Mosnier aux drapeaux, Manet 1878

Pour Monet et ses amis, la distance avec le réel en dehors de laquelle il n’y a pas de création n’était ni celle des grands arts religieux depuis Sumer, ni celle, moins évidente, du rêve somptueux qui enivra l’Italie de Florence à Venise. Cette distance avec le réel était celle d’une peinture qui se voulait autonome, toute entière tendue vers ce que Georges Braque appellera le « fait pictural ». D’où la querelle, l’une des plus importantes de l’histoire de l’art, entre les Indépendants et les Officiels dont la virtuosité « photographique » au service de l’histoire et de la mythologie arracha ces mots à Cézanne : « Horriblement ressemblant ! ».

Vincent Van Gogh, 1886
Vincent Van Gogh, 1886

Si la révolution de 1789 fut une récusation de l’absolutisme royal et des privilèges, la révolution de la couleur et de la forme fut, avec les impressionnistes, les fauves puis les cubistes, une récusation de l’art officiel du XIXème siècle dont le contresens sur la nature de la création bénéficiait du soutien aveugle des institutions.

Il suffit de réunir une centaine d’œuvres où figure notre drapeau pour que celui-ci nous apparaisse comme appelé à abriter et symboliser le génie de la peinture moderne. Les Indépendants ne s’y sont pas trompés qui, saisissant l’opportunité que leur offraient nos fêtes du 14 juillet, nos rues pavoisées ou nos bords de mer, sont allés jusqu’à en faire l’un de leurs sujets de prédilection.

La France à l’origine d’une renaissance mondiale des arts ignorés

Ce n’est pas un hasard si cette révolution qui eut lieu en France et inaugura le règne de la liberté de l’artiste, fut à l’origine de la résurrection, sur tous les continents, des formes les moins idéalisées, les moins soumises au réel. Aussi notre drapeau, qui a fait le tour du monde avec nos plus grands peintres, loin d’être celui d’un pays replié sur lui-même, est-il celui d’un pays qui peut s’enorgueillir d’avoir ouvert la voie, pour la terre entière, à une fabuleuse renaissance d’œuvres longtemps considérées comme maladroites du fait du préjugé de l’art comme « imitation de la nature ».

L'Atelier à Marseille, Albert Marquet 1916
L’Atelier à Marseille, Albert Marquet 1916

Si, quittant les sentiers battus de la puérilité et de ce que l’on pourrait appeler le « contresens culturel par lâcheté », nos gouvernants avaient le souci de renforcer l’unité du pays par de grandes manifestations ne s’adressant ni à des individus ni à des consommateurs mais à des citoyens français fiers de ce que leur pays a apporté au monde, si la nouvelle ministre en charge des affaires culturelles avait l’ambition de renouer avec une certaine idée de la culture française et l’imagination de la partager avec un public le plus large possible, alors nous pourrions peut-être commencer de dire que la France est de retour.

André Mare, L’Armistice 1918, carnet de guerre
André Mare, L’Armistice 1918, carnet de guerre

 

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Ancien collaborateur parlementaire, Jérôme Serri est journaliste et essayiste. Il a publié Les Couleurs de la France avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (éditions Hoëbeke/Gallimard), Roland Barthes, le texte et l'image (éditions Paris Musées), et participé à la rédaction du Dictionnaire André Malraux (éditions du CNRS).

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