Dans les nouveautés, Jérôme Leroy aimerait trouver autre chose à lire que des romans « importants », « nécessaires » ou « engagés »…
La lecture en primeur des romans de la rentrée littéraire à venir, dont nous nous ferons un plaisir de vous rendre compte, ou de ceux sortis depuis quelque temps, a ravivé cet agacement devant une littérature soumise de plus en plus à des contrôles d’identités ou même qui les devance.
On se retrouve confronté à ce moment de plus en plus fréquent dans notre bel aujourd’hui, où nombre d’écrivains commencent à préférer les idées générales, la philosophie, pire encore la sociologie, à une fille qui court sur la plage le matin. Cela les rend pour moi illisibles. Tout à coup, ce qui était de l’enchantement pur, devient une description clinique soumise à un prisme idéologique. On peut en discerner quelques-uns assez à la mode ces temps-ci: réac, antifa, écolo, néo-orwellien de droite, centre gauche mainstream, pasolinien de la dernière heure… La coureuse sur la plage n’est plus pour eux ce miracle matinal dans l’accord entre ses muscles et le ciel, entre sa transpiration et l’iode, entre son profil et l’horizon, entre son souffle et les vagues. Elle est devenue au choix :
-une connasse de bobo qui profite de sa résidence secondaire à une heure de TGV ;
-encore une Arabe qui ne branle rien à la mer pendant que le prolo blanc souffre en zone périphérique ;
-une salope villiériste qui veut garder les fesses fermes avant d’aller à la messe (surtout si on est sur une plage vendéenne.)
Je ne suis pas naïf, la littérature est politique. Même celle qui prétend ne pas l’être. Le tout est de se rappeler, ou au moins d’essayer, ce que j’essaie de faire comme écrivain et comme lecteur, que l’écrivain n’est pas un éditorialiste ou un universitaire « engagé ».
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Que le plaisir qu’il nous donne est, ou devrait être d’abord innocent, même si dans un second temps, on pourra toujours gloser. Mais, et c’est de pire en pire, la glose a tout envahi. La glose précède, même, l’œuvre. Depuis quelques années, nombre de romans ressemblent à des habits mal coupés avec des marques apparentes. Et si par hasard il n’y a pas de marque, que le vêtement sort d’un bon faiseur, on peut toujours compter sur une critique de plus en plus idéologisée et inculte à la fois, pour vous en coudre une, bien en évidence, sur le cœur.
Il va devenir donc de plus en plus compliqué de faire comprendre que l’on peut aimer, finalement pour des raisons identiques, Drieu et Aragon, Nimier et Vailland, Morand et Gracq, Manchette et ADG. Il faudra pourtant continuer, loin des préjugés, ne serait-ce que pour sauver ce pur plaisir de la lecture pour la lecture.
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