Il sera bien temps dans quelques jours de disséquer le pourquoi et le comment de la défaite de Jean-Luc Mélenchon dans la circonscription d’Hénin-Beaumont. D’ici là, il faudra que « les bouches s’ouvrent », comme le disait autrefois un Pas-de-Calaisien célèbre, Maurice Thorez, l’homme qui parlait à l’oreille des prolos.
Il faudra raconter cette greffe qui ne pouvait pas prendre, cette campagne menée pour et par les médias, cette légère difficulté à vendre en zone ouvrière ravagée le mariage gay et la régularisation de tous les sans-papiers. Salauds de pauvres !
Cela dit, il est très exagéré d’écrire comme je l’ai lu un peu partout que JLM a été « écrasé » ou encore « balayé » voire « humilié » dans le Pas-de-Calais. La circo, rappelons-le, est socialiste depuis au moins l’époque de la Guerre froide et du hula hoop. Mélenchon y a accru significativement son score de la présidentielle et encore plus celui du PCF aux législatives de 2007. A l’arrivée, il ne rend que deux points au candidat PS. Il n’est donc pas passé loin d’un de ses objectifs, à savoir être en tête de la gauche au premier tour et affronter Marine Le Pen au second tour, ce qui aurait fait élire à coup sûr la présidente du FN et fingers in the nose, mais ça, c’est une autre histoire. Mélenchon n’est donc pas humilié : il a joué, il a perdu, et de peu. Dont acte.
Bref, l’honneur du Front de Gauche est sauf dans la 11ème circonscription du Pas-de-Calais. Restent les 576 autres. Et là, c’est carrément la cata. Car s’il y a eu un « Effet-Mélenchon», ce n’est pas du tout celui que l’on croyait. Fort de son score honorable le 21 avril, le PCF était persuadé de sauver pratiquement tous ses sortants, voire de récupérer certains de ses sièges dans les contrées autrefois rouges des périphéries urbaines ou des contreforts du Massif Central.
Rien de tout ça n’est arrivé. Pas de retour de balancier rural, tout d’abord : le PCF ne reviendra au second tour ni dans l’Allier, ni dans le Gard, ni dans la Haute-Vienne, ni dans la Loire, tous pays qui, il n’y a pas si longtemps, fournissaient de gros bataillons au groupe PCF. Exit donc veaux, vaches, cochons, reconquista…
Restaient donc les sortants. Et là c’est le carnage ! Toute une série de députés communistes supposément indéboulonnables ont été doublés par le PS dans ce qu’on appelait autrefois la ceinture rouge, un terme qui devrait être écrit au pluriel, puisqu’il concernait encore Lyon en 2007 avec André Gerin (qui ne se représentait pas à Vénissieux), et il n’y a pas si longtemps Rouen, Saint Etienne, Grenoble voire Marseille, Amiens ou Le Havre, trois villes où « la banlieue » est incluse dans les limites de la commune.
Et là, partout ou presque, c’est un véritable Tchernobyl qui arase le PCF, y compris dans des circos tenues par la gauche de fer depuis le Congrès de Tours, voire depuis Jules Guesde. Le PS est passé en tête de la gauche à Saint-Denis, à Gennevilliers, à Malakoff, à Montreuil, à Ivry (chez moi !), à Amiens-Nord, dans l’ex-circo de Maxime Gremetz, (le seul ouvrier PCF présent à l’Assemblée, que le groupe communiste avait jugé bon d’exclure de ses rangs pour une broutille). Même cata à Vénissieux et au Havre. Bingo !
En revanche, les trois députés FdG périurbains du Nord sauvent leur têtes (Spéciale dédicace à Jérome Leroy), idem pour ceux des Bouches-du-Rhône, du Cher, et last but not least, pour André Chassaigne, qui arrive premier dans un fauteuil dans sa circo du Puy-de-Dôme. Or s’il est un communiste qui incarne l’antimélenchonisme, c’est bien lui : il y a un an, Chassaigne avait été candidat malheureux à la candidature contre l’homme à la cravate et aux colères rouges.
Alors comment peut-on expliquer cette contreperformance ? En vérité, seule une analyse fine, bureau par bureau, pourrait étayer un semblant de théorie d’ensemble. Hasardons néanmoins quelques faits, et quelques hypothèses plus ou moins plausibles. Les faits tout d’abord, primo, on l’a déjà dit, les élus périurbains (ceux qui s’appuient sur un réseau de maires communistes de villes de 500 à 5000 habitants) résistent beaucoup mieux que leurs camarades banlieusards. Secundo la sanction frappe indifféremment tout type d’élus PCF, les bons (Marie-Hélène Amiable dans le 9/2, ou Pierre Gosnat chez moi) comme ceux usés jusqu’à la corde, voire totalement décrédibilisés tel Jean-Pierre Brard à Montreuil écrabouillé sans gloire par mon ami Razzy Hamadi. Tous, à part Brard, ont été battus par des candidats au charisme moléculaire ou par d’illustres inconnus pourvus d’une rose autour du cou, et tous n’ont rien vu venir, comme Roland Muzeau à Gennevilliers ou Patrick Braouzec[1. Dans le cas de Braouzec, c’est la Bérézina à deux boules : non seulement il perd son siège à l’Assemblée, mais aussi son prévisible strapontin au gouvernement Ayrault II, où il se voyait déjà Ministre de la Ville. Too bad…] à Saint-Denis, lesquels peuvent déjà commencer à se faire du souci pour les prochaines municipales.
Autre piste de travail, celle qu’on avait déjà décelée à l’occasion du premier tour de la présidentielle, la fuite d’une partie du cœur de l’électorat tradi du PCF (ouvriers, employés, et aussi petits retraités issus de ces métiers[2. Petits retraités de gauche invisibles et qu’on oublie donc trop souvent, mais qui, curieusement, ont le droit de vote.]) vers François Hollande. Une fois passée la présidentielle, ce petit peuple viscéralement attaché à la VF de la common decency aurait sans doute pu revenir vers l’élu PCF sortant, comme il le fait souvent à chaque législative, cantonale ou municipale. Sauf qu’en ce printemps 2012, l’image rassurante du bon gestionnaire PCF, rassembleur et incarnant toute la gauche et avec ça modeste, proche des gens et toujours enclin à rendre service a été occultée, voire dégradée par les éructations du coupeur de tête virtuel Mélenchon. Et voilà comment les caissières de chez Dia, les ajusteurs CGT et les veuves à minimum vieillesse ont préféré le fleuve tranquille hollandien au torrent FdGiste. Mauvaise pioche.
Je parlais tout à l’heure d’analyse bureau par bureau : elle sera totalement indispensable pour voir s’il a existé, ou non, dans les « territoires perdus de la république » un vote populaire immigré et donc, c’est dit, paramusulman ou pseudomusulman. Un vote immigré privilégiant un PS jugé somme toute fréquentable vis-à-vis d’un PCF perçu fantasmatiquement comme impie, féministe et envahisseur d’Afghanistan. Auquel cas le discours de Mélenchon à Marseille aura fait des ravages bien au-delà d’Hénin-Beaumont. Non seulement le FdG aura payé cher chez les prolos « souchiens » ses positions extrémistes sur les sans-papiers, mais en plus, il n’est pas à exclure qu’il n’en ait même pas récolté les dividendes chez leurs cousins « issus de la diversité », ne serait-ce que parce que les immigrés devenus citoyens français et leurs enfants savent qu’ils seraient, sur le marché du travail, les premières victimes d’une régularisation générale.
Le plus étrange, en apparence, dans tout cela est que le FdG à 7%, améliore sensiblement les 4% et quelques obtenus aux législatives par le PCF en 2002 et 2007. En négligeant la réalité de l’effet répulsif mélenchonien et en courant après une fausse deuxième jeunesse que lui injecterait l’électorat bobo[3. Chez moi, cet adjectif relève de la sociologie sauvage et non de l’insulte. J’adore les sashimis, les films des frères Coen et Philippe Katerine, je n’ai pas regardé le JT de TF1 ou de France2 depuis 20 ans, je pense qu’on devrait déchoir Luc Besson, M. Pokora et Arthur de la nationalité française pour crime contre le bon goût, je trouve que Frédéric Mitterrand était un chouette ministre de la Culture, tout comme l’est sa successeuse, bref, je suis moi-même un bobo archétypal et fier de l’être.], en n’étudiant même pas la possibilité d’un accord avec le PS du type de celui qui a si bien réussi aux Verts, le parti des travailleurs a lâché la proie pour l’ombre. Puisse-t-il au moins l’admettre[4. Ce que le placide, goguenard et subtil secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a sans doute déjà fait en son for intérieur…], à défaut de le reconnaître publiquement, et il y a des chances que cette catastrophe n’en appelle pas d’autres[5. La question de l’existence ou non d’un groupe FdG à l’Assemblée -qui passionne tous mes confrères incapables de lire des résultats avant qu’un quotidien du soir ne leur explique- n’a pas été posée ici, parce que même avec seulement onze ou douze députés « pur sucre » il y aura, sauf immense surprise, un groupe FdG grâce à l’appoint de députés Divers Gauche de métropole et d’Outremer. Les paris sont pris…].
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