Il manquait une rubrique scientifique à Causeur. Peggy Sastre comble cette lacune. À vous les labos!
Telle est prise qui croyait prendre. Selon les informations de Mediapart, la juriste et députée LREM Laetitia Avia serait accusée de propos racistes, homophobes et généralement violents par cinq de ses anciens assistants parlementaires. L’ironie est mordante, car Avia n’est autre que l’architecte de la loi contre les contenus haineux sur internet, adoptée le 13 mai à l’Assemblée nationale et heureusement lourdement retoquée au Conseil constitutionnel un gros mois plus tard. La commissaire générale de la police des mots en dirait donc des gros lorsqu’elle se croit à l’abri des coups de matraque qu’elle veut garantir à d’autres ?
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Duperie de soi
À supposer que la réalité soit conforme à ce qu’en rapporte le pure player d’Edwy Plenel, nous sommes face à un cas clinique de tartufferie. On prêche l’inverse de ce qu’on fait. On réserve ses leçons à d’autres que soi-même. Ce qui est excessivement énervant, mais pas surprenant lorsqu’on sait à quoi peut servir notre cervelle : rouler des mécaniques pour rafler une plus grosse part du gâteau, quitte à manger la laine sur le dos de nos congénères. Comme la plupart de nos mécanismes cognitifs façonnés par des millions d’années d’évolution, cette stratégie n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est inconsciente et sa fonction première est éminemment offensive.
L’un des spécialistes de cette « duperie de soi » est le biologiste Robert Trivers. En 1976, dans l’avant-propos qu’il signe pour l’édition originale du Gène égoïste de Richard Dawkins, il écrit : « Si […] la duperie est fondamentale à la communication animale, alors il existe forcément une forte sélection pour la détection de la duperie qui, à son tour, a dû sélectionner une certaine disposition à la duperie de soi rendant certains faits et motivations inconscients afin de ne pas trahir – par les subtils signes de la connaissance de soi – la duperie ainsi pratiquée. » Un an plus tôt, son collègue Richard Alexander était un tantinet plus laconique : « La sélection a probablement empêché à la compréhension [des] motivations égoïstes d’être intégrée à la conscience humaine, voire d’être facilement acceptable. »
Mentir est risqué… et coûteux
Le point de départ des deux scientifiques est le même : embabouiner sciemment son monde est extrêmement coûteux.
Premièrement, vous risquez de prendre cher si vous êtes démasqué. Que les personnes authentiquement vaccinées contre la réprobation sociale soient aujourd’hui si minoritaires dans notre espèce – si tous les sociopathes et les psychopathes du monde se donnaient la main, on arriverait à tout casser à 3 % de l’humanité – n’est pas un hasard en termes adaptatifs : il y a fort à parier que leurs ancêtres aient été salement éliminés du pool génétique, vu les punitions réservées aux tricheurs et aux traîtres de par le monde, les époques et les cultures. Mais qu’on les retrouve concentrés aux extrémités de la gaussienne sociale – dans les plus hautes sphères du pouvoir et dans les plus sombres bas-fonds – ne fait pas non plus tomber à la renverse. Pourquoi ? Parce que ce sont deux écosystèmes où leurs aptitudes sont les plus à même de s’exprimer, vu que le ratio bénéfices/risques de la manipulation d’autrui y est le plus optimal. Comme le dit Trivers dans The Folly of Fools, son riche ouvrage sur la duperie de soi paru en 2011, le pouvoir ne corrompt pas tant qu’il sélectionne les plus corrompus et les plus corruptibles. Ce qui vaut aussi, de manière sans doute plus intuitivement évidente, pour les criminels.
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Deuxièmement, le mensonge est un processus mental énergivore. Il faut littéralement se creuser la tête pour inventer une histoire fausse tout en sachant un chouia à quoi ressemble la vraie vérité – le mensonge doit être plausible et ne pas risquer de contredire des connaissances que peuvent posséder la personne ou le groupe que vous espérez berner. Et une fois la fabulation façonnée, il faudra vous en souvenir tout le temps et sur le bout des doigts ou sinon gare à vos fesses. Face à une telle « charge cognitive », tout ce qui peut l’alléger est bon à prendre. Le meilleur des régimes ? Faire tout simplement disparaître de notre conscience notre envie de tromper et napper le tout d’émotions qui aideront autant à notre persuasion qu’à celle des autres, victimes de nos bobards à notre esprit défendant.
« Nul ne ment autant qu’un homme indigné », disait Nietzsche. Un peu plus diplomate, Bertrand Russell nous invitait à nous méfier des émotions fortes et fortement aversives que nous pouvons ressentir lorsque nous croisons des opinions contredisant les nôtres, car elles témoignent peut-être de la fragilité de nos croyances que nous cherchons ainsi à fortifier en faisant le gros dos.
Laetitia Avia ne sera ni la première ni la dernière à tomber pour hypocrisie. Cette propension à juger plus durement autrui que soi-même pour une même infraction est ancrée dans notre nature. Son caractère « par défaut » a été mis en lumière par la psychologie sociale. Lorsqu’on demande à des individus de formuler un jugement moral tout en étant soumis à une lourde charge cognitive (par exemple, devoir se remémorer une suite de nombres), le biais d’auto-indulgence est aux abonnés absents. Quand notre cervelle turbine, nous sommes objectifs et le jugement est identique, que la transgression soit de notre fait ou pas. Ces recherches indiquent par ailleurs l’existence d’un mécanisme cognitif cherchant à formuler des évaluations universellement justes avant que nos « facultés supérieures » ne se mettent en branle pour nous peindre sous un jour plus favorable. Son intérêt n’est pas très difficile à saisir : posséder un tel module d’observation impartiale ouvre un boulevard à l’autodiscipline et nous permet, en cas de conflit, de savoir qui est réellement en faute. Mais que nous soyons objectifs ou subjectifs, le but est toujours le même : être en pole position dans la course aux « ressources sociales », si précieuses aux étranges singes que nous sommes.
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