Sous prétexte de nous protéger, les plateformes finiront par prohiber toute parole singulière
Alain Soral n’ira pas en prison. Le 25 juin, la cour d’appel de Paris a commué en amende de 5000 euros la peine d’un an ferme infligée en avril 2019 par le tribunal correctionnel au patron du mal-nommé site « Égalité et Réconciliation ». Cinq jours plus tard, Google annonçait la fermeture de la chaîne YouTube de Dieudonné, forte de 400 000 abonnés, « suite à des enfreintes répétées » au règlement de la plate-forme sur les « discours de haine ».
Cette coïncidence résume l’équation de la liberté d’expression, rendue presque insoluble par l’arrière-monde virtuel qui infuse en continu son fiel à la réalité concrète, et pose à nouveaux frais la question classique – Quelle liberté pour les ennemis de la liberté ? – traduite en sabir politique moderne par : Comment lutter contre les discours de haine ? Qu’en moins de deux siècles le lexique de la vie publique ait quitté les sommets des concepts pour s’ébrouer dans le marais des sentiments résume peut-être le désastre de notre temps.
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Certes, il y a peu de doute sur le caractère « haineux » de leur propos, les deux compères partageant avec leur public l’obsession qui leur fait voir, derrière chaque malheur du monde, la main du lobby que vous savez. De sacrés malins, ces juifs, capables de mentir tout le temps à tout le monde, au point que le bobard qu’ils ont inventé pour passer pour des victimes et mieux dominer le monde tient encore, soixante-quinze ans après. « YouTube, torchecul d’Israël », tweetait un certain Wilhem Winter après l’annonce de la suspension, résumant l’ambiance dans la dieudosphère.
Sans doute le débat public gagnerait-il en qualité si cette prose et cette logorrhée (souvent drôles en même temps qu’ignobles, d’ailleurs) n’existaient pas. Seulement, elles existent. Croire qu’on va les neutraliser par étouffement relève de la pensée magique.
Les sociétés libérales doivent-elles accorder à leurs ennemis les droits de « parler, écrire, imprimer librement », consacrés par la déclaration de 1789 ? La polémique est récurrente entre les tenants du laissez-faire, déplorant qu’on ne puisse plus rien dire, et les partisans de la censure qui s’indignent qu’on puisse dire n’importe quoi. Au milieu, il y a ceux qui célèbrent la libération de la parole féministe un jour et se désolent le lendemain de la libération de la parole populiste. Aucune société ne tolère une liberté de parole absolue. Il s’agit donc de définir le licite et l’illicite, et ce qui est encore plus important, l’instance légitime pour constater et apprécier les infractions. Les cas de Soral et de Dieudonné permettent d’observer in vivo deux modes de régulation de la liberté d’expression.
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Pour Soral, la Justice a tranché : en France, on n’embastille pas pour délit d’opinion et c’est tant mieux. Pour autant, on n’a pas le choix entre tolérance totale et tolérance zéro. Le domaine de l’interdit s’est exagérément étendu, avec les dizaines de modifications introduites dans la loi de 1881 pour sanctionner l’incitation à la haine de diverses minorités.
Contre Dieudonné, c’est une multinationale qui est à la manœuvre. Or, si la loi Avia a été réduite en charpie par le Conseil constitutionnel, c’est précisément parce qu’elle abandonnait la défense de l’ordre public à des acteurs privés. Quelques jours plus tard, Google décide souverainement, en se moquant éperdument de nos lois, et d’ailleurs du premier amendement américain, de couper le sifflet à Dieudonné, et à une trentaine d’autres.
Google et les autres sont peut-être réellement imprégnés par l’idéologie inclusive de la gauche américaine (et française). S’ils s’inclinent devant des minorités surchauffées, c’est parce que celles-ci, au terme d’une campagne d’intimidation mondiale, ont rallié le big business mondial à leurs causes délirantes. Les plates-formes ne craignent plus seulement le « bad buzz » et les boycotts organisés par des citoyens « en colère » : plus de 200 multinationales, qui ont rallié le mouvement #StopHateForProfit, menacent de leur couper les vivres publicitaires si elles n’en font pas assez « contre la haine ». Résultat, le grand ménage a commencé.
À l’annonce de la fermeture de « iamdieudo4 », les dirigeants de l’UEJF et la Licra ont sablé le champagne, preuve qu’ils ne comprennent rien. S’il faut se résoudre à restreindre le droit sacré de dire des conneries, on doit le faire avec le cœur lourd et la main qui tremble. Comment défendre la liberté de Mila et accepter que l’on bafoue celle de Dieudonné ? Ce n’est pas la même chose, dira-t-on. Ce n’est jamais la même chose. Mais si nous exigeons que la susceptibilité des autres s’accommode de notre liberté, il nous faut bien endurer la leur. Jusqu’à un certain point, bien sûr.
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Laisser des entreprises tenues en joue par des obsédés de l’interdit fixer ce point[tooltips content= »Comme on a laissé l’afficheur Jean-Claude Decaux censurer nos amis de L’Incorrect, qui n’ont pas pu promouvoir leur une (assez osée il est vrai) sur le remigration. »]1[/tooltips], c’est instaurer la dictature du plus fort, ou du plus bruyant. Ce n’est pas à la loi du marché, mais à la loi de l’État de fixer les limites de la liberté d’expression. Heureusement, car la Justice préfère encore les excès de la liberté à ceux de la censure. Contrairement aux plates-formes qui pratiquent le précautionnisme idéologique : sous prétexte de nous protéger des propos blessants, elles finiront par prohiber toute parole tranchante ou simplement singulière.
Ainsi, Mark Zuckerberg, qui avait d’abord résisté à la vague, a-t-il fait repentance. Désormais, les publicités décrivant des minorités comme des menaces « en raison de leurs origines, de leurs religions, de leurs castes, de leur orientation sexuelle ou de leur statut migratoire » seront interdites sur Facebook. Gageons que ce régime sera promptement étendu à tous les contenus et qu’il sera impossible d’y publier un texte critique sur les immigrés clandestins ou sur le lobby gay.
En matière de liberté d’expression, il n’y a pas que des mauvaises solutions, il y en a aussi de très mauvaises. En laissant les géants du numérique imposer à tous les règles qui leur sont dictées par un chantage planétaire, nous avons choisi la pire.