A trois mois d’élections capitales, la Côte d’Ivoire est toujours suspendue au sort qui sera fait à Guillaume Soro. Les prochaines élections présidentielles qui se tiendront en octobre 2020 sentent déjà le souffre, tant le pays tout entier se demande si le pouvoir maintiendra ou invalidera la candidature de l’ancien premier Ministre et ancien président de l’Assemblée nationale. De cela, dépend l’avenir de la démocratie dans un pays qui était parvenu à se stabiliser jusque-là.
En poste entre 2007 et 2012 à la fonction de chef du gouvernement, puis de 2012 à 2019 à celle de la présidence de l’Assemblée, le candidat Soro prépare soigneusement sa campagne pour espérer devenir le successeur d’Alassane Ouatara afin de diriger la treizième puissance du continent africain. Seulement, depuis quelques mois, et une décision de justice de décembre 2019, son parcours a été semé d’embûches, pour certains organisé de toutes pièces, et pas des moindres : accusé de torture, d’assassinat et de crimes de guerre mais également de détournement de fonds et de blanchiment, l’ancien proche de Ouattara semble agacer depuis plusieurs mois dans l’entourage de l’actuel président qui tente de préparer soigneusement sa succession. Non sans rappeler les années Gbagbo, encore en prise lui-même avec la justice, cette actualité qui dépasse largement Soro, met en péril l’exercice démocratique à venir en Côte d’Ivoire. Elle questionne sur les actuelles manœuvres du pouvoir pour placer un proche du clan Ouattara afin de ne pas perdre totalement la main sur les richesses du pays, 91ème puissance mondiale.
Une justice suspecte
Condamné avant même d’être jugé et ce sans avocat, Guillaume Soro a été condamné à 20 ans de prison et 5 ans d’inéligibilité, ce qui compromet sacrément ses chances de remporter le prochain scrutin, alors qu’il fait partie des favoris pour prendre en main le destin de ce pays déjà largement traumatisé par des années de crise et de guerre. Personne au pays n’aspire à revivre de tels évènements dramatiques. Depuis cette condamnation par la justice ivoirienne, et afin de se donner encore toutes les chances de faire évoluer la situation et de revenir au pays par la voie royale, Guillaume Soro s’est réfugié en France afin de préparer sa riposte. Personne n’est certes au-dessus de la loi, mais le procès intenté contre Soro semble bien destiné à l’évincer définitivement de la course à la présidentielle.
C’est justement car Soro doutait fort de l’objectivité de la justice ivoirienne à l’heure actuelle, et le fait qu’il n’ait pu se défendre selon les règles d’usage d’un citoyen normal pouvant disposer d’un avocat, qu’il s’est retourné directement auprès de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples afin de contester cette décision. Et le 22 avril dernier, elle lui donna raison, en demandant à la justice de son pays de surseoir au mandat d’arrêt international contre Soro, afin de lui permettre de rentrer à Yamoussoukro en toute sécurité et pouvoir également assurer sa défense et poursuivre sa campagne. Mais elle demandait aussi la libération de ses 19 proches incarcérés en Côte d’Ivoire.
Le pays ne peut définitivement pas se permettre une nouvelle montée en puissance des tensions, avec un Guillaume Soro plus populaire que jamais, et dont le rejet de la candidature par le pouvoir, à quelques semaines seulement du scrutin, pourrait réveiller dans la population un profond sentiment d’injustice et de révolte. Plus le temps passe, et plus les Ivoiriens seront convaincus d’un complot ourdi contre lui. Après le coup d’État de 1999 et la guerre civile de 2002 qui dura huit longues années, le pays qui s’était à peu près jusque-là essayé au jeu de la démocratie pourrait renouer par la marginalisation de Soro avec la spirale de l’autoritarisme voire de la guerre. A ce jour, et ce malgré la décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme, le candidat Soro n’est toujours pas rentré au pays, tant les gages donnés par le pouvoir ne semblent pas suffisants pour être certain qu’il puisse mener à bien sa défense et sa campagne jusqu’au bout. On a tendance à dire que si un seul pays ne respecte pas le droit international, le droit international n’existe plus, mais la Côte d’Ivoire doit pouvoir montrer l’exemple dans un continent ravagé par les crises, les dictatures, les appétits des puissances étrangères, et le déni de démocratie. C’était l’une de ses grandes fiertés jusque récemment.
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