Les écologistes d’EELV, ils osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. On a déjà parlé ici de l’anticommunisme rabique de Cohn-Bendit qui préfère s’acharner sur la gauche de la gauche grecque en passe d’arriver en tête aux élections du 17 juin plutôt que sur les néo-nazis du parti Aube dorée qui ont tout de même fait entrer vingt députés au parlement hellène. Cet anticommunisme provient des Verts qui, au contraire de Martine Billard, n’ont pas rejoint le PG de Mélenchon. Ils peuvent d’ailleurs très vite l’oublier dès qu’il s’agit pour eux de devenir le seul partenaire du PS. Y compris en jouant un coup de billard à trois bandes.
Celui qui tient la queue, ce coup-ci, c’est l’étonnant monsieur Placé, président du groupe EELV du Sénat. On avait mesuré naguère ses qualités machiavéliennes à la vice-présidence du conseil régional d’Île-de-France, imposant en douceur des accords léonins au président socialiste, accords sans le moindre rapport avec le poids électoral réel de son parti. Placé réédita cet exploit en obtenant un groupe au Sénat et, surtout, une soixantaine de circonscriptions dont vingt gagnables pour les législatives sans que le score calamiteux d’Eva Joly à la présidentielle ne remette en cause quoi que ce soit[1. Constat que l’on peut devant le nombre de dissidents socialistes qui se présentent contre les candidats EELV désignés pour représenter la majorité présidentielle.].
Jean-Vincent Placé a encore réussi à surprendre son petit monde en déclarant hier matin à RTL : « Je trouve que François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont fait un bon gouvernement, équilibré, paritaire, sérieux et compétent. Il ne faut pas trop remanier à mon sens. Le seul remaniement qui me paraît politiquement intéressant, c’est l’entrée du Parti Communiste Français au gouvernement.»
« Timeo Danaos et dona ferentes » : je crains les Grecs, même quand ils font des cadeaux, dit le vieux proverbe latin. Il faudrait être bien naïf pour croire que Jean-Vincent Placé, dans un grand élan unanimiste, voudrait voir revivre la gauche plurielle façon Jospin.
Pour commencer, il prend ses désirs pour des réalités. Il est en effet hors de question pour le PCF, malgré d’insistantes rumeurs, de participer à quelque gouvernement socialiste que ce soit tant que ce dernier se contentera de critiquer la crise en cours en tentant ici et là d’arrondir les angles trop aigus de la souffrance sociale.
Surtout, Jean-Vincent Placé feint d’oublier l’existence du Front de Gauche. Depuis 2008, le Front de Gauche, constitué du PG de Mélenchon, du PCF de Pierre Laurent et d’autres petites formations antilibérales, est devenu une force politique dont les scores aux Européennes de 2009, aux Régionales de 2010, aux Cantonales de 2011 et quoiqu’on en dise aux Présidentielles de 2012, ont surpris les observateurs et marqué l’émergence d’un courant nouveau.
Ce que cherche Jean-François Placé, en caressant dans le sens du poil la vénérable maison de la place du Colonel-Fabien, c’est à casser la dynamique unitaire du Front de Gauche. Ce n’est pas forcément un calcul idiot, au demeurant. Il y a entre le PG de Mélenchon et le PCF de Pierre Laurent la possibilité d’enfoncer des coins. En jouant par exemple sur quelques divergences, notamment à propos de l’énergie, le PCF restant globalement partisan du nucléaire quand le PG souhaite en sortir le plus vite possible. Dans ce cas, pourquoi Placé ne propose-t-il pas au PG d’entrer au gouvernement puisqu’il aurait ainsi un autre partenaire en accord avec lui ? Et pourquoi proposer au PCF, dont la culture est encore largement productiviste, quelques maroquins ?
Tout simplement parce que le PCF bénéficie d’une véritable implantation électorale au niveau national, qu’il peut faire élire suffisamment de députés sans l’aide de qui que ce soit et qu’il formera l’essentiel d’un éventuel groupe Front de Gauche à l’Assemblée Nationale.
Et Jean-François Placé ne veut pas de ce groupe Front de Gauche. Il ne veut pas voir apparaître à l’Assemblée une force de gauche autonome franchement hostile au social-libéralisme. Il ne souhaite pas qu’à l’instar de Syriza en Grèce, cette force dirigée par Mélenchon[2. Qui sera probablement élu député.] finisse par apparaître comme un recours quand le gouvernement Ayrault sera englué dans une logique austéritaire. Il mise donc sur ce qu’il croit être les intérêts purement électoraux du PCF, lequel a scellé des accords de gestion avec le PS dans nombre de collectivités locales. Placé sait que le PCF risque de perdre les avantages de ces accords s’il persiste à jouer une politique du grand large.
Jean-Vincent Placé oublie juste une chose : c’est que le PCF, autant par cœur que par raison, a une fois pour toutes décidé que son avenir, à long terme, passait par le rassemblement de toutes les sensibilités anticapitalistes. Pour le Parti communiste, il n’y a aucun avenir à monter sur un bateau qui prend l’eau quand on est le navire amiral d’une autre politique qui s’imposera par la force des choses, un jour ou l’autre.
*Photo : Parti socialiste
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