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Aux origines de la politique des identités… et ses conséquences

La déconstruction continue et s'accélère


Aux origines de la politique des identités… et ses conséquences
Assa Traoré, le 2 juin 2020 © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22460752_000007

Les nouvelles idéologies identitaires qui nous assaillent ne trouvent pas uniquement leur origines dans les idées post modernes…


La politique des identités (« identity politics ») comprend un corpus idéologique dans lequel l’individu existe et vit surtout en tant que membre d’une communauté. Celle-ci est présente aux deux extrémités du spectre politique, à droite et à gauche. Ce concept est d’actualité aujourd’hui avec l’émergence de multiples groupes identitaires dans nos sociétés incluant non seulement les suprématistes raciaux blancs ou les identitaires de droite, mais aussi des minorités éthniques, religieuses, sexuelles et de genre. Ces dernières revendiquent des droits en tant que groupe en raison de caractéristiques supposées spécifiques. Divers groupes constitués en raison d’une revendication sociétale à forte composante idéologique, sont à y rapprocher, même s’il y a des différences. Cela est bien différent des regroupements d’individus, comme par exemple le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, qui se justifiaient en raison des préjudices réels subis et qui revendiquaient l’égalité de traitement devant la loi en tant que citoyens.

L’émergence de l’idéologie identitaire est très visible à l’époque actuelle et est caractérisée par une attitude militante afin d’imposer un « droit lié au groupe » spécifique. L’origine de cette idéologie a été rattachée aux philosophes post-modernes qui auraient fourni sa charpente idéologique (relativisme, mise en question de la notion de vérité, pas de méta-narratif / récit etc…). Si le postmodernisme a fourni les bases philosophiques sur lesquelles les mouvements identitaires se sont appuyés, on peut dire que c’est la rencontre des idées post-modernes avec le communautarisme du continent Nord-Américain qui a contribué à l’éclosion et à la diffusion planétaires de l’idéologie identitaire.

Identité de groupe

L’idéologie identitaire actuelle puise ses sources dans des concepts très différents : biologisme affirmé, prédominance de l’esprit sur le corps et théorie de construction sociale.

Ces différents aspects sont en apparence contradictoires mais sont associés dans une savante alchimie et varient en proportion en fonction d’un corpus identitaire spécifique. Un élément constant est, dans tous les cas, le ressentiment. Un autre élément associé est le mécanisme de justification des diverses postures. Il fait appel à, ce que Daniel Kahneman a appelé « availability heuristics » (Kahneman D. « Thinking fast and slow », Penguin, 2012), c’est à dire de prendre l’information immédiatement disponible pour expliquer un fait sociétal et justifier un mode d’action. Cette information doit être, bien évidemment, compatible et non-contradictoire avec le corpus idéologique donné.

Cependant, l’origine de l’idéologie identitaire est bien plus complexe et plus ancienne. A titre d’exemple, l’effacement de l’individu par rapport au groupe a été poussé à l’extrême par les deux mouvements radicaux du XXe siècle, le nazisme et le communisme. Ainsi Karl Larenz, juriste du IIIe Reich écrit « Ce n’est pas en tant qu’individu qu’homme ou titulaire d’une raison abstraite et générale que j’ai des droits et des devoirs, ainsi que former des liens juridiques mais en tant que membre d’une communauté qui se donne par le droit à sa forme de vie – en tant que membre de la communauté raciale. Le « Volksgenosse » n’est qu’une personnalité concrète qu’en tant qu’être vivant dans une communauté » (« K. Larenz, Rechtsperson und subjectives Recht, pp225-260, page 241» cité dans J. Chapoutot, la révolution culturelle Nazie, Gallimard, 2018). Dans l’idéologie communiste, l’individu n’est rien d’autre qu’un être appartenant à une classe sociale spécifique construite seulement par des forces économiques. Ceci est exemplifié par un écrit dans le journal Terreur rouge ou la culpabilité de quelqu’un est déterminée par son appartenance à une classe spécifique : « Nous ne combattons pas un individu isolé. Nous exterminons la bourgeoisie en tant que classe. Il n’est pas nécessaire pendant l’interrogatoire de chercher des évidences. La première question devrait être à quelle classe il ou elle appartient et de quelle origine il est. Ce sont là les questions qui déterminent la culpabilité » (cité par A. Solzhenitsyn, dans « l’Archipel du Goulag », page 21, version abrégée en Anglais, Penguin, 2018). On voit donc que l’innéisme radical du Nazisme et la tabula rasa ou le « blank slate » (comme l’appellerait Steven Pinker) communiste convergent sur le même point : l’effacement de l’individu par rapport au groupe, ce qui a automatiquement pour conséquence que la culpabilité d’une personne est due à son « identité de groupe ».

Le biologisme philosophique a été l’une des caractéristiques majeures du nazisme et a été poussé à son extrême par cette idéologie. Le biologisme actuel de certains groupes identitaires s’appuie sur l’appartenance à un groupe ethnique ou sexuel spécifique. Cependant, dans certains cas, la supériorité est ici inversée mettant les « inférieurs » de jadis dans une position de supériorité dans une sorte d’inversion Nietzschéenne. On pourrait appeler cela « le racisme à l’ordre inversé ». Une illustration frappante est la réaction d’une certaine presse anglo-saxonne à la victoire de l’équipe de France de Football à la Coupe du monde qui racialise cette victoire en l’attribuant à la prédominance de joueurs noirs dans l’équipe de France.

Les caractéristiques de l’idéologie Nazie se trouvent dans certains mouvements identitaires actuels : le particularisme, le ressentiment, l’anti-individualisme, l’antirationalisme, le relativisme et dans certains cas le racisme. Les caractéristiques venant de la gauche sont l’anti-individualisme, le collectivisme, l’anticapitalisme, le constructivisme et le ressentiment. Ces différents éléments sont mixés dans des proportions variables en fonction d’un corpus identitaire spécifique.

L’individualisme de façade de l’idéologie identitaire, si on peut l’appeler ainsi, se caractérise par une allégeance volontaire d’individus à un récit de groupe, une soumission en quelque sorte à un corpus explicatif du monde qui enlève la responsabilité individuelle, la transférant au groupe identitaire. Un mécanisme de renforcement à la soumission au groupe est représenté par la manifestation de sa vertu (« virtue signalling »). Cette dernière peut être bénéfique pour souder un groupe en cas de danger par exemple, mais elle peut être néfaste dans le cas où un groupe est dominé par une idéologie.

La crise sanitaire passée, les revendications identitaires sont de retour

Nous aurions pu penser que la crise du Covid-19 amoindrirait les revendications identitaires. Le virus est bel et bien une entité biologique concrète et non une construction sociale ! Dans un premier temps ceci fut bien le cas mais cela n’a pas résisté longtemps, et Sars-Cov2 a donné un nouveau terrain de jeu à la politique des identités. On entend des affirmations comme « les femmes sont plus affectées que les hommes par Sars-Cov2 » même s’il y plus d’hommes qui sont infectés et en réanimation, etc… « les Noirs et minorités sont plus affectées par Sars-Cov2 » même si cela peut s’expliquer aussi par le problème de surpoids et d’obésité dans ces populations ou un manque de distanciation sociale, etc. La recherche sur un vaccin a été critiquée pour son ton patriotique, car cela pourrait donner des avantages aux pays occidentaux pour s’immuniser contre le Sars-Cov2… Il n’est pas à nier que des couches populaires avec des salaires les plus bas sont plus touchées par le Covid-19 car ce sont eux qui sont aussi « au front » en s’occupant de la santé et des besoins essentiels de la population. Mais ceci est un problème d’ordre social et non identitaire.

Un autre évènement récent est l’affaire George Floyd qui s’est greffée sur la crise du Covid-19. L’irrationalité s’est emparée d’une partie de la population américaine prise en otage par des mouvements activistes de justice sociale (les « Social Justice Warriors » ou SJW) revendiquant l’idéologie identitaire à tendance totalitaire. « White Privilege » ou « White Fragility », une terminologie identitaire classique, est employée dans les rues américaines où des citoyens blancs s’agenouillent pour demander pardon pour leur racisme systémique et leur « privilège blanc ». La notion de racisme systémique est véhiculée par les médias, les stars du cinéma, et même par les journaux scientifiques ainsi que des institutions d’éducation supérieure et des universités ! Ceci est maintenant exporté en Europe par des brigades de militants post-colonialistes, « intersectionnels », et bien d’autres enseignes. Plus préoccupant est l’attaque des sciences dans laquelle la science est décrite comme raciste de manière inhérente. Ces attaques viennent de certains scientifiques eux-mêmes (et même des sciences dites dures, comme la physique) et sont maintenant véhiculées par des institutions et journaux scientifiques importants comme Nature (Nature News & Comments ; https://www.nature.com/articles/d41586-020-01721-x) et Science (Science Magazine ; https://www.sciencemag.org/news/2020/06/researchers-around-world-prepare-shutdownstem-and-strike-black-lives). Dans ce contexte, il est intéressant de consulter les différents écrits notamment ceux de l’éditeur-en-chef H. Holden Thorpe de Science Magazine (https://science.sciencemag.org/content/368/6496/1161). Le virus mental se propage donc à grande échelle. Farewell to Reason ! Comme David Hume disait « La raison est esclave des passions ».

Ces valeurs sont en contradiction complète avec l’esprit des Lumières qui met l’individu au centre qui appréhende le monde par la raison. La célèbre phrase de Kant « Aufklärung ist der Ausgang aus der selbstverschuldeten Unmündigkeit » (« Les lumières sont la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont il est lui-même responsable ») est à l’opposé de celle de Marx et Engels « Freiheit ist die Einsicht in die Notwendigkeit » (« La liberté est la réalisation de ce qui est nécessaire »), la dernière étant bien compatible avec le credo de l’idéologie identitaire. Il est souvent assumé, par erreur, que le centrage de l’Occident sur l’individu est incompatible avec la coopération. Le contraire est vrai comme le montre Joseph Henrich (Henrich, Joseph (2016). The Secret of Our Success: How Culture is Driving Human Evolution, Domesticating our Species, and Making us Smarter. Princeton University Press). En effet, les pays occidentaux WEIRD (« Western Educated Industrialized Rich Democratic ») constituent une classe spécifique dans laquelle les liens tribaux et de parenté anciens ont été rompus, ce qui a permis l’émergence de structures coopératives nouvelles et consenties.

Quelles sont les conséquences de l’idéologie identitaire ? Les activités de l’esprit humain et même les activités relevant des sciences exactes sont menacées par des analyses sous l’angle de l’idéologie identitaire et ne doivent pas être en rupture avec elle. Dans l’idéologie identitaire Nazie, même la philosophie et les sciences exactes ont subi la camisole identitaire.

Les physiciens Johannes Stark et Philippe Lenard, tous deux prix Nobel, voyaient dans la théorie de la relativité et la mécanique quantique une science juive étrangère à l’esprit allemand. Voyant l’évolution de la science dans l’Allemagne Nazie, le prix Nobel de Médecine Avery Hill écrivit les phrases suivantes dans un article publié dans Nature en 1933 : « … Cependant, la question plus importante est la suivante: nous devons nous assurer que la même folie, la même fureur ne se produisent pas ailleurs. Nous ne pouvons pas prendre la liberté, si lentement et à grande peine acquise, comme un droit de naissance : nous devons veiller à ce que ni la race, ni l’opinion, ni la conviction religieuse, ni le soutien de théories impopulaires à l’heure actuelle privent les hommes désintéressés des moyens de poursuivre leur travail et de leur liberté de penser ». Cette phrase a gardé toute son actualité !

A. Bikfalvi s’exprime ici à titre personnel et ce texte n’est, dans aucun cas, écrit au nom des institutions auxquelles il est affilié (Université de Bordeaux et INSERM)

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