L’écrivain et avocat François Jonquères se souvient du Grand Homme
Dans une époque où le courage se fait la malle, où l’honneur et la parole libre sont sous contrôle, l’écrivain Jean Raspail, disparu samedi à l’âge de 94 ans, semble sortir d’un autre monde. Un monde bien difficile à expliquer et même à imaginer pour les nouvelles générations. Une gueule incroyable qui rappelle celle des condottieres, le panache en héritage, l’aventure en ligne de mire et cette volonté de témoigner, d’aller à la rencontre des peuples oubliés. Avec Raspail, on prend le large, on traverse les continents, sans se trahir, sans faiblir dans un engagement catholique et royaliste, on trace sa route, indifférent aux modes et aux chaos en marche, tout en prenant le pouls d’une société en mutation. Un exercice délicat, instable et flamboyant qui faisait la diversité des Lettres Françaises.
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Selon où l’on se place sur l’échiquier politique, on fera de Raspail, un épouvantail des idées progressistes ou un visionnaire d’un Occident en danger. Au-delà des divergences et des combats idéologiques, rappelons qu’un écrivain se lit d’abord. Que pour se faire une idée de l’homme, il faut plonger dans son œuvre, s’y imprégner, en saisir le suc et la violence, batailler avec ses mots et toucher une part de son identité. François Jonquères, écrivain et avocat, inlassable défenseur de la cause « Hussarde » qui fut un proche de l’académicien Michel Déon témoigne sur la figure de cet écrivain hors les murs, hors les codes en vigueur :
« Mon histoire avec celui que Bruno de Cessole surnommait affectueusement le Don Quichotte des causes perdues (Le défilé des réfractaires – L’Editeur) gardera désormais un goût d’inachevé. En 2011, le jury du prix du livre incorrect, dont j’étais alors, n’osa pas couronner la réédition de son merveilleux « Camp des Saints » et, ayant rejoint depuis la joyeuse cavalcade du prix des Hussards, un virus, sur lequel il est de bon ton de chinoiser, causa le report de notre remise, initialement prévue le 28 avril dernier dans les somptueux salons du Lutetia, au cours de laquelle un hommage sous forme d’un vibrant coup de Shako lui était réservé. Qu’importe, le sabre sied aux Hussards comme aux corsaires et leur fidélité va bien au-delà de la mort. À l’heure où notre dernier Géant des Lettres vogue vers d’autres Cieux retrouver Jacques Perret, Michel Déon et tant d’autres, nous n’oublierons pas de célébrer ce grand voyageur, cet explorateur des confins, ce défenseur des derniers peuples libres, comme ses chers Alakalufs, héros des pages immortelles d’Adios ou de Tierre de Fuego. Et nous continuerons bien volontiers ses nobles combats, en songeant à ses yeux, couleur d’océan et d’espérance, qui vous emportaient d’Alaska en Patagonie, terre de liberté et point de ralliement des réfractaires de tout âge. Longtemps encore, des cavaliers quitteront la ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’est plus gardée, répondant à l’appel de l’aventure, du grand large où l’homme n’a à craindre que son Créateur. Et chacun de ses cavaliers portera dans ses sacoches un exemplaire de Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie (Grand prix du roman de l’Académie française en 1981, rendant ainsi l’année moins pénible), de Sire ou des Yeux d’Irene, aujourd’hui pleins de larmes. Je sens déjà le vent se lever. »
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