Une tribune de Jean Messiha (RN) cosignée avec Frédéric Amoudru, ex-cadre dirigeant d’une grande banque française.
En France comme ailleurs, le Covid–19 a privé d’oxygène de très nombreuses entreprises dans de multiples secteurs. Les mesures prises par le gouvernement ont limité une casse que la mauvaise gestion de l’arrivée du virus dans notre pays a fortement aggravée. Crédits de trésorerie garantis par l’Etat (Prêt Garanti par l’Etat), prise en charge du chômage partiel de masse, report des charges, exonérations ciblées, fonds de soutien sectoriel… Autant de mesures indispensables pour éviter l’écroulement complet de l’économie française. Le gouvernement et en particulier le ministre de l’Economie Bruno Lemaire se prévalent d’ailleurs abondamment de cet activisme pour tenter de redorer leur blason. C’est de bonne guerre mais personne n’est dupe.
De la dette, encore et encore
Sur le fond, l’essentiel de ce qui est apporté aux entreprises constitue pourtant de la dette à court et moyen terme. Or la crise sanitaire est susceptible de générer des pertes d’exploitation de l’ordre de 60 milliards d’euros, selon les estimations des milieux économiques. Cela aura pour conséquence de faire fondre les fonds propres de très nombreuses entreprises et donc de dégrader leur situation financière. Ce désastre apparaîtra clairement à l’automne avec la publication des comptes semestriels au 30 juin.
Quelle en est la conséquence? Sur le plan microéconomique, une société au bilan fragile rencontre de nombreuses difficultés dans son quotidien et plus encore dans son développement comme :
- Un crédit fournisseur plus limité et plus court
- Des crédits bancaires plus limités, plus chers, plus courts donc grande difficulté à investir pour s’agrandir ou se moderniser
- Des difficultés à attirer des talents
- Un risque de faillite bien plus élevé en cas de crise
Choc inédit
En termes macroéconomiques, une économie truffée d’entreprises sous-capitalisées est condamnée à une sous-performance structurelle. La logique libérale classique nous pousserait à considérer que le capital privé est là pour investir dans les entreprises et que nous devons laisser aux mécanismes de marché le loisir jouer leur rôle. En d’autres termes, si les entreprises ont besoin de capital, qu’elles se tournent vers leurs actionnaires ou les nombreux fonds d’investissements dont c’est le métier. Dans une situation normale ou de crise limitée, c’est une position qui n’est déjà pas toujours défendable.
En effet, de nombreuses sociétés ou secteurs viables mais n’offrant pas suffisamment de perspectives bénéficiaires, sont délaissées ou maltraitées. A fortiori quand le contexte est celui d’un choc d’une violence encore jamais enregistrée.
Face à des besoins de recapitalisation plus que pléthoriques, les acteurs privés vont pouvoir « faire les soldes » ou bénéficier d’un « Black Friday » de plusieurs mois, choisissant ce qui est le plus attractif et ignorant ou « massacrant » ce qui est plus risqué ou moins « sexy ». De leur point de vue, c’est compréhensible.
L’Etat investisseur en dernier ressort
Mais du point de vue de l’État, c’est inacceptable car trop d’emplois et trop d’activité sont en jeu. En conséquence de quoi, l’Etat doit jouer le rôle d’investisseur en dernier ressort pour sauver notre économie. Mais l’effort financier gigantesque consenti par la puissance publique c’est-à-dire, in fine, par les contribuables que nous sommes, va une fois de plus sauver un secteur en particulier: les banques. Sans cette intervention publique massive, les faillites se multiplieraient et le secteur financier en paierait un prix exorbitant. Il doit donc participer à l’effort national aux côtés de l’État et de son bras armé, la Banque Publique d’Investissement (« BPI »), dans un fonds de redressement national.
Le gouvernement a prévu la mise en place un d’un fonds de 20 milliards d’euros pour venir au secours des entreprises stratégiques. C’est une nécessité, car au-delà des emplois directs, c’est toute une chaîne de sous-traitants qui est menacée en cas de faillite d’un de nos fleurons nationaux. Toutefois, il apparaît clairement que deux entreprises, Air France et Renault pour ne pas les citer, pourraient capter une part considérable de cette manne. Il est indispensable qu’elle soit aussi disponible pour les autres grandes entreprises et les ETI (entreprises de taille intermédiaire) qui constituent un écosystème d’environ 6.000 sociétés, cotées en bourse ou non, et employant plus de 50% des salariés du pays. Elles sont généralement bien armées pour négocier avec les marchés financiers des injections de capital.
Préserver notre souveraineté économique
Toutefois, face au risque de prise de contrôle par des capitaux étrangers d’acteurs-clés de notre économie, l’État doit se tenir prêt à intervenir financièrement, de concert avec notre secteur bancaire. Objectif: préserver notre souveraineté, mais également l’emploi qui pourrait être menacé par des exigences de rentabilité excessives de fonds d’investissement plus ou moins « vautours ». C’est ici que s’inscrit la logique de la relocalisation posée comme condition au soutien public. Le nombre limité des entreprises concernées permet une approche « sur mesure » et au cas par cas. Leur taille ouvre également au fonds stratégique la possibilité de « sortir » un jour, par la vente en bourse ou auprès d’investisseurs, de sa participation constituée en temps de crise.
Mais il reste ces milliers de PME et ces centaines de milliers de TPE plus ou moins gravement fragilisées. Un début de réponse a été apportée par la BPI, institution idoine s’il en est, grâce à sa connaissance intime du monde des entreprises et son réseau de 52 implantations dans les territoires avec la création d’un Fonds de Renforcement des PME. Mais, on est très loin du compte et ce, pour plusieurs raisons :
- Une enveloppe ridicule : 100 millions d’euros ;
- Un plancher d’éligibilité trop élevé : pas moins de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui laisse des centaines de milliers d’entreprise hors du champs ;
- Un outil qui ne règle rien car il passe par l’émission d’Obligations avec Bon de Souscription d’Actions, c’est-à-dire une dette à moyen terme en faveur de la BPI assortie de la possibilité pour cette dernière d’entrer au capital de la société. Or ce n’est pas de plus de dettes dont ces entreprises ont besoin mais d’une injection de fond propres.
140 000 PME
Le problème, c’est que nous nous heurtons ici à une vraie complexité : le nombre. Notre pays compte en effet 140 000 PME soit des entités employant entre 10 et 250 salariés et générant un chiffre d’affaire de moins de 50 millions d’euros. Elles emploient un total de 4,2 millions de salariés. Quant aux TPE (moins de dix salariés et moins de 2 millions d’euros de chiffres d’affaires), elles sont au nombre d’environ 3,6 millions, dont une immense majorité ne compte aucun salarié. Pour celles ayant un chiffre d’affaire inférieur à 1 million d’euros (élargi à 2 millions pour le secteur du tourisme), un bénéfice net inférieur à 60.000 et ayant perdu 50% de leur chiffre d’affaires en raison de la crise sanitaire, un Fonds de Solidarité associant État et régions de 7 milliards d’euros est en place, distribuant des aides de 1 500 à 6 500 euros. Ces montants restent néanmoins souvent insuffisants pour permettre à ces entreprises de garder la tête hors de l’eau et doivent être revus à la hausse.
Pour les dizaines de milliers de TPE qui dépassent les seuils fixés ci-dessus et sont donc non-éligibles au Fonds de Solidarité et pour l’univers des PME, la recapitalisation au cas par cas est matériellement impossible. Par ailleurs leur faible taille rend très problématique la revente d’une participation une fois la société tirée d’affaire. Inutile cependant de réinventer l’eau chaude : il existe ce Fonds de Renforcement des PME piloté par la BPI et auquel les banques doivent être associées. Mais il convient de doter ce fonds d’une enveloppe de plusieurs milliards d’euros, doublé d’un outil standardisé et simple qui permette de renforcer les capitaux de ces entreprises tout en garantissant à ce fonds de « récupérer ses billes » à moyen- long terme.
Prêt subordonné participatif
Pour ce faire, une solution optimale émerge : le prêt subordonné participatif (« PSP »). Un prêt certes mais très long (par exemple 15 ou 20 ans dont 5 ans sans remboursement, suivi d’un amortissement progressif) et subordonné c’est-à-dire qu’en cas de faillite il est remboursable après toutes les autres dettes mais avant le capital des actionnaires. L’ingénierie financière lui donne le titre de « quasi fonds propres » ou de « dette mezzanine », et l’utilise assez communément dans des opérations de financement. Pourquoi participatif? La réponse à cette question appelle la réponse à une interrogation préalable: faut-il assortir ce prêt d’un taux d’intérêt élevé comme c’est normalement le cas pour ce type d’instrument ? Sûrement pas, car l’idée n’est pas de faire de l’argent et de saigner les boîtes avec des frais financiers supplémentaires mais bien de soutenir l’appareil productif. Par contre, il n’est pas envisageable qu’en cas de « retour à meilleure fortune », le ou les actionnaires puissent se servir des dividendes alors que l’argent public est peu rémunéré. Donc, en cas de paiement de dividendes, le PSP devra recevoir sa part (voire un peu plus) au prorata de l’ensemble des fonds propres de la société.
Le montant du PSP doit être calibré en fonction de quelques critères qui devront inclure la baisse des fonds propres subie par l’entreprise ainsi que sa taille, de même que certaines conditions qui seront exigées pour garantir la bonne utilisation de cet argent partiellement public. Par exemple, le remboursement partiel du fameux Prêt Garanti par l’État mis en place pour faire face aux urgents besoins de trésorerie, pour investir en France, dans la production ou l’innovation, mais pas pour financer des licenciements économiques ni augmenter la rémunération des dirigeants, ni, encore moins, pour acheter de l’immobilier ou une voiture haut de gamme au patron, etc.
Une assurance contre les faillites
Ainsi dotées de nouveaux fonds propres à coûts faibles, remboursables à très long terme, assortis de conditions simples, les PME et TPE françaises pourront envisager sereinement leur avenir et participer au redressement économique. Du point de vue de l’État, sa participation dans ce fonds de redressement ne constitue pas une charge budgétaire mais une contribution financière à l’économie qui sera remboursée. Pour les banques, c’est une assurance contre les faillites qui leur coûteraient très cher. Pour les salariés, c’est la sécurité de voir leur employeur financièrement renforcé. Toutefois, ne nous méprenons pas : cette initiative a vocation à réparer les dégâts financiers du Covid–19 et non à régler les nombreux problèmes structurels de la sous-compétitivité de notre économie qui, eux, doivent être traités au travers d’une vraie stratégie de redressement productif.
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