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La surdité des mélomanes

Critique de la critique musicale


La surdité des mélomanes
La leçon de musique, Johannes Vermeer, 1662-1665. © DeAgostin/Leemage

Sur France Musique, « la Tribune des critiques de disques » fait entendre plusieurs interprétations d’une même musique. Ses commentateurs à l’oreille aiguisée sombrent trop souvent dans l’idéologie ou l’esprit du système pour juger la qualité d’une oeuvre. Au risque de devenir sourds à sa beauté.


« La Tribune des critiques de disques » de France Musique est une émission célèbre et estimée qui fait honneur à la radio publique française, puisqu’il n’est pas sûr qu’il en existe l’exact équivalent à l’étranger, même dans les pays où l’on fait plus et mieux de musique que chez nous. La qualité de cette émission tient d’abord à sa formule aussi simple qu’efficace. Le fait de faire entendre à intervalles rapprochés un nombre conséquent d’interprétations d’une même œuvre musicale permet de comparer ces interprétations, mais aussi de révéler les différentes facettes de l’œuvre que chacune des interprétations aura mises en valeur, ce qui fait voir l’œuvre avec un saisissant relief. Les mélomanes qui, ordinairement, ne peuvent réaliser seuls cette expérience révélatrice en savent gré à l’émission. Celle-ci doit beaucoup aussi à la qualité des commentateurs, dont certains sont des puits de science. Mais, précisément parce que l’émission mérite tant de louanges, elle supportera peut-être qu’on lui adresse une critique.

Considérations savantes

Pour la formuler, j’userai d’un apologue. Supposons un groupe de messieurs, parmi lesquels un homme sensible. Voici que vient à passer la plus belle fille du monde. Cette apparition cause à l’homme sensible un choc qui le laisse interdit. Si on lui demande, l’instant d’après, comment la fille était habillée, quelle était la couleur de sa robe, comment elle était coiffée, chaussée, etc., il sera probablement incapable de répondre. En effet, ce qui l’a bouleversé, c’est seulement sa beauté, qui ne tient pas à son vêtement mais à sa nature, à la grâce inexplicable de cette forme plastique et dynamique qu’il est bien certain d’avoir vue, même s’il n’a pu en retenir l’image.

Mais voici que les autres messieurs se lancent dans une analyse savante. Avez-vous remarqué la mauvaise facture de la robe que portait cette fille, le négligé de sa coiffure, de sa ceinture, de ses souliers ? Et de se livrer à diverses considérations de modes, de styles et de convenances qui trahissent simplement le fait qu’ils n’ont pas perçu l’épiphanie qui se présentait à eux.

Passe ensuite une femme gauche et lourde. Tandis que l’homme sensible reste de marbre, les messieurs s’intéressent et s’extasient. Voyez ce chemisier ! Voyez ce collier ! Enfin une coiffure comme il faut ! Et que penser de cet admirable sac à main ! Tout ceci est parfait, d’un goût exquis ! Si l’un des messieurs s’engage sur ces fausses pistes avec suffisamment d’éloquence, les autres le suivent et s’égarent avec lui. Finalement, c’est à la femme banale que va la pomme. L’homme sensible essuie une larme.

Percevoir ou ne pas percevoir

De cet apologue je tire les leçons suivantes pour « La Tribune des critiques de


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Mai 2020 – Causeur #79

Article extrait du Magazine Causeur




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