Un beau lapsus vaut mieux qu’un long discours. En souhaitant que « Martine Aubry » ne soit pas élue, le 17 juin, député de la circonscription d’Hénin-Beaumont, Vincent Peillon a révélé les vrais sentiments qu’il éprouve pour la première secrétaire du Parti socialiste : une aversion comparable à celle qu’il entretient à l’égard de Marine Le Pen. La loi d’airain de la vie politique se résume au « Vae victis ! » (Malheur aux vaincus !) du chef gaulois Brennus jetant son bouclier sur la balance pour augmenter la quantité d’or extorquée aux Romains défaits. Tous les sourires, amabilités et bises sonores échangés ces derniers jours entre Hollande, Ayrault et Martine Aubry doivent être interprétés comme une posture préélectorale. Le PS serait ainsi le pays des Bisounours, alors que du côté de l’UMP, la castagne entre Copé et Fillon n’a pu être mise au frigo en attendant le 17 juin. Personne n’est dupe, mais cette hypocrisie est une forme de politesse que l’on doit aux électeurs, comme celle des parents qui, conscients de leurs responsabilités, évitent de se quereller devant leurs enfants.
Le sort des urnes a été régulièrement défavorable à Martine Aubry depuis le lancement de la primaire socialiste à la présidentielle. Emberlificotée dans le « pacte de Marrakech » conclu avec Dominique Strauss-Kahn (à lui l’Elysée, à elle Matignon), elle se plante lors de la primaire, largement battue par François Hollande. Et se comporte pendant cette campagne de manière à rendre impossible un rabibochage avec le vainqueur (« gauche molle », « quand c’est flou, y a un loup… »). La vraie campagne présidentielle redonne pourtant quelque espoir à Martine : la montée en puissance de Mélenchon dans les sondages allait rendre incontournable sa venue à Matignon, elle seule étant en mesure de se concilier les bonnes grâces d’un Front de gauche revenu aux scores du PC d’avant Mitterrand. Caramba, encore raté ! La fusée mélenchoniste n’a pas atteint l’orbite espérée, et Martine Aubry doit faire ceinture pour la rue de Varenne.
Il ne lui reste plus comme choix que de faire allégeance en entrant dans le gouvernement Ayrault, qualifiée par elle de « naze », selon Le Canard enchaîné, ou de se mettre « en réserve de la République » en boudant dans son beffroi lillois. Elle a choisi cette dernière solution, qui pourrait bien être le commencement de la fin de sa carrière politique. Elle ne sera pas député, car elle ne se présente pas aux législatives, et elle a annoncé qu’elle ne briguerait pas la direction du PS lors du prochain congrès prévu au mois d’octobre prochain. Une sage décision, car en étant candidate à sa propre succession, elle allait au devant d’une grosse déconvenue : malgré toute l’amitié que lui portent quelques barons locaux du parti, ils ne se bougeront pas pour bourrer les urnes en sa faveur, comme ce fut le cas lors du congrès de Reims en 2008. Quand le patron est à l’Elysée, la maison socialiste doit être gardée par un fidèle de chez fidèle, comme du temps de Mitterrand. Comme, de l’avis général, Martine Aubry est une vraie méchante, elle profite des derniers leviers de pouvoir qui lui restent rue de Solférino pour faire quelques mauvaises manières au nouveau président, en écartant des proches de François Hollande de l’investiture PS aux législatives au profit de ses amis.
On aurait tort, cependant, de ne voir dans cet affrontement Hollande-Aubry qu’un banal choc d’ambitions personnelles. Martine Aubry, jusqu’à sa défaite aux primaires, avait amorcé un vrai tournant idéologique du PS. Flanquée sur sa gauche par Benoît Hamon (plus inconsistant que lui, tu meurs !), elle avait entrepris une dépolitisation en profondeur de la doctrine du parti. Le social disparaissait au profit du « sociétal » dans le sillage des théories développée par la fondation Terra Nova, du sociologue Michel Wieviorka et des épigones français de l’idéologie américaine du « care ». L’alliance programmatique de long terme avec les Verts s’était concrétisée par un compromis avec les écologistes où ces derniers se taillaient la part du lion, avec la sortie du nucléaire, et une approche communautariste et multiculturaliste de la gestion de la société française. Dès la victoire de François Hollande à la primaire socialiste, il fut mis bon ordre à tout cela pour en revenir à une conception plus traditionnelle d’une social-démocratie à la française, sociale dans la limite des possibilités financières, raisonnablement productiviste et ne considérant pas la Nation comme un gros mot.
Les premiers pas de Hollande sur la scène internationale, au G8, à l’OTAN et à Bruxelles confortent ce retour aux principes fondamentaux d’une gauche au pouvoir qui ne craint pas d’affirmer la singularité française dans les controverses sur la marche du monde. Il semble avoir compris que l’Europe de 2012 n’est plus celle des années 90, où Mitterrand, Delors et Kohl pouvaient, hélas, imposer à leurs peuples et au continent le funeste traité de Maastricht, dont nous payons aujourd’hui les conséquences. Penser que l’instauration d’une monnaie unique dans un espace géopolitique sans solidarité entre ses utilisateurs pouvait fonctionner en temps de crise défie toutes les lois du bon sens. Aujourd’hui, en rassemblant autour de lui la gauche du « oui » et du non au référendum de 2005, Hollande prend acte que Merkel n’est pas Helmut Kohl, et qu’il urge de sortir du dogme du couple franco-allemand envers et contre tous. L’issue de la bataille sur les euro-obligations sera à cet égard décisive.
Elle ne débouchera pas, contrairement à ce que pensent les éternels eurobéats, sur une fédéralisation en catastrophe de la gestion économique et sociale de l’UE, pour la bonne et simple raison que les Allemands et leurs alliés (Pays-Bas, Suède, Finlande et quelques autres) n’en veulent à aucun prix. Même le SPD allemand est à cet égard dans une nasse : l’opinion outre-Rhin est très majoritairement hostile à ce que l’Allemagne finance les pays dits du « Club Med », et les élections générales sont pour 2013… L’idée fédéraliste européenne est en recul partout en Europe, dans les partis de droite comme dans ceux de gauche, à l’exception des libéraux et des écologistes, dont la forme électorale n’est pas brillante… Il n’y aura donc pas d’euro-obligations « modèle Hollande », pour permettre le financement des pays en difficulté.
L’habileté de Hollande sera de faire porter à l’Allemagne la responsabilité de l’écroulement du château de cartes construit par son ancien mentor Jacques Delors. Ce dernier, qui était sorti de sa retraite pour soutenir sa fille (« la meilleure ! »), lors de la primaire PS, n’était présent ni à l’Elysée, ni à la mairie de Paris lors des cérémonies d’investiture de François Hollande. Qu’il n’ait pas été invité, ou qu’il ait boudé ces raouts est anecdotique. Il savait parfaitement que le triomphe de son ancien disciple signifiait l’enterrement de l’œuvre de sa vie.
*Photo : Parti Socialiste
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