Confinement oblige, en baguenaudant plus qu’à l’accoutumée sur les réseaux sociaux, Sophie Bachat a découvert un fabuleux humoriste. Pas l’un de ceux qui ont profité de leur désœuvrement pour nous envahir de vidéos à l’humour plus ou moins heureux, mais un véritable talent : Thomas Poitevin.
Loin d’être un amateur, Thomas Poitevin a une solide formation de comédien : il est passé par le conservatoire de Fontainebleau et depuis n’a cessé d’exercer ses talents. Il a créé un spectacle lauréat du prix des Jeunes Talents en 2010 « Le laboratoire Chorégraphique de Rupture Contemporaine des Gens », une satire du milieu de la danse contemporaine.
De petites pastilles délicieuses
Poitevin a été tour à tour directeur artistique d’une compagnie, sosie de Michel Berger dans une comédie musicale et metteur en scène. En 2017, il monte et joue son premier spectacle d’humoriste « Les désespérés ne manquent pas de panache », une galerie de portraits qui préfigure celle dont nous pouvons nous délecter sur les réseaux sociaux depuis le début du confinement. En effet « Les perruques », son work in progress virtuel, est une formidable succession de petites pastilles vidéos délicieuses et hilarantes de personnages confrontés au confinement.
J’avoue avoir un gros faible pour Hélène, bourgeoise confinée avec maris et enfants au Pilat dans le Massif Central. Une de ces femmes excédées qui parlent comme des charretiers avec une patate dans la bouche. Le mari d’Hélène, à qui le confinement a donné des ailes, a le projet de monter « un fish and chips slam écolo friendly mon cul », ce qui la met en rage car elle tient à son petit standing de personnage à la Valérie Lemercier, même si « Thierry est beaucoup plus sexy quand il fait des projets. »
Hélène, elle s’appelle Hélène…
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec Hélène, car elle a eu sa parenthèse enchantée à la Bourboule où elle s’est entichée d’un « pseudo artiste peintre de 70 berges, un espèce de saltimbanque espingouin » mais heureusement, il s’est révélé « misogyne border facho » ce qui lui a rappelé qu’elle avait un mari. Ce genre de personnage, ces bourgeoises en apparence bien sous tous rapports qui se révèlent à la lisière de la folie m’enchantent.
A lire aussi, portrait: Bigard a les boules
Thomas Poitevin, en caricaturiste à La Bruyére, épingle les nouvelles mœurs qui sont apparues avec le confinement, ainsi Mélanie, vraisemblablement habitante du XIème arrondissement a fait « la meilleure teuf de sa vie sur Zoom », karaoké avec Nostalgie à fond, abus d’alcool et chenille endiablée. « Teuf » malheureusement interrompue à 21 heures par le manque de wifi. Délectable.
Quant à Caro, vieille jeune fille parisienne comme nous en connaissons tous, elle profite du confinement pour lire Proust, ce qui la déconcerte fortement puisque le narrateur va à des « fêtes cheloues où on lit des poèmes » et « en plus tu sais jamais quel métier il fait, c’est trop chelou, il parle de tremper des madeleines dans du thé, get a life quoi. » Cependant, cette lecture donne des idées à Caro qui entreprend la rédaction de sa Recherche à elle et, quand elle réalise la vacuité de sa vie, se fait un planning pour « devenir rock’n’roll « .
Un fin observateur de nos travers
Le point commun entre ces personnages, c’est que le confinement a provoqué chez eux une prise de conscience, un dépassement, que ce soit en faisant la chenille sur Zoom, en lisant Proust ou en prenant un vieil artiste peintre pour amant. Thomas Poitevin a lui aussi fait fructifier cette parenthèse désenchantée en enrichissant et en peaufinant sa galerie de personnages, débutée juste avant en vue d’un spectacle.
A lire aussi: L’Union nationale passe par Zidi, Lautner, Poiré, Robert, etc…
Pourquoi « Les Perruques » ? Tout simplement parce que l’inspiration lui vient en « regardant des cheveux synthétiques », sa collection de perruques récupérées deci-delà au gré de ses spectacles. Bien sûr, ce ne sont pas uniquement les cheveux synthétiques qui lui soufflent son inspiration. Poitevin est un fin observateur, à la recherche des travers de nos contemporains mais aussi du moment où le personnage basculera dans l’émotion. Un virage jamais ostentatoire auquel il faut être attentif, car la caricature n’est réussie que lorsqu’on entrevoit l’humain dans sa complexité.
Il fait naître cette émotion grâce à son exceptionnelle maîtrise de la technique du comédien. Poitevin fait passer des ombres dans les yeux de ses personnages, utilise pour chacun de petits gestes-gimmick : Caro se passe sans arrêt la main dans les cheveux, Hélène (toujours au téléphone avec ses copines) souffle de la buée sur ses lunettes de soleil pour les nettoyer.
Du côté de chez Maillan et Serrault
En plus d’être ce auteur et comédien de grand talent, Thomas Poitevin est un garçon délicieux qui fait preuve de beaucoup de finesse lorsqu’il parle de son métier. Il ne nie pas utiliser le cliché, essentiel pour arriver à une forme de vérité. Il me souffle cette citation de Hitchcock : « Il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver ». Ses références sont à la fois vintage et pointues, Jacqueline Maillan pour l’art de la rupture et les humoristes anglais pour l’humour de gêne, provoqué par la vanne qui intervient au moment où l’on s’y attendait le moins.
A lire aussi, chronique: Mes journées inutiles
On pourrait aussi évoquer le côté tragique de Michel Serrault dans La cage aux folles car c’est précisément cela l’art de la caricature : y injecter de la tragédie.
Thomas Poitevin ainsi que Blanche Gardin sauvent l’honneur du triste paysage humoristique français, dans lequel essaie désespérément de percer un Laurent Sciamma (frère de la réalisatrice) avec un humour « féministe et inclusif » qui lui valut l’honneur du podcast : « Mes couilles sur la table » (…) Pour égayer la fin de votre confinement, oubliez vos angoisses un instant, et ruez-vous sur le compte Instagram ou la page Facebook de Thomas Poitevin : « Les perruques de Thomas ».
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !