Aujourd’hui et demain se déroule en Egypte la première élection présidentielle libre du monde arabe. Les Frères Musulmans, indéniables vainqueurs du scrutin parlementaire, sont représentés par Mohamed Morsi, ingénieur et vétéran de la confrérie. Mercredi dernier, il battait campagne à Fayoum, capitale d’un gouvernorat situé à 70 km du Caire.
Le rassemblement revêt une allure triomphale pour une organisation réprimée depuis la création de la République égyptienne. Les gradins du stade à l’architecture d’arène sont combles. Autant de personnes sont massées sur la piste d’athlétisme. Au centre de la pelouse trône une balance, symbole du Parti de la Justice et de la Liberté, l’organe politique de la confrérie. Des adolescents courent en brandissant de longues bannières rouges ornées du visage du candidat Morsi. Malgré la foule rassemblée (20 000 personnes) dans une enceinte aussi vétuste, l’organisation fonctionne à merveille, grâce à une cohorte de jeunes militants souriants, serviables et disciplinés. Dans la tribune jouxtant l’estrade siègent les notables locaux. Costumes-cravates et sourires ravis, ils se saluent en s’étreignant. Notons que le Fayoum, à l’instar de la majorité des zones rurales, constitue un bastion de la confrérie, qui y a récolté 45% des votes aux législatives.
Dans le reste du pays, la situation paraît différente. Le candidat Morsi peine dans les sondages, où il est immanquablement devancé par l’ancien ministre des Affaires Etrangères Amr Moussa et Aboul Fotouh, un physicien exclu de la confrérie. Il faut dire que la popularité des Frères Musulmans s’est érodée depuis leur victoire aux législatives. D’incessantes querelles avec le Conseil Militaire, chargé d’assurer la transition démocratique, paralysent le Parlement. La Confrérie est accusée de se préoccuper de sa trajectoire au lieu d’œuvrer à la reconstruction du pays. On lui reproche aussi d’avoir présenté un candidat, alors qu’elle avait promis de s’abstenir. Quant à Mohamed Morsi, il fait figure de pis-aller. Ses opposants le surnomment le « pneu Michelin ». Le Parti de la Justice et de la Liberté avait initialement investi Khairat el-Shater, mais le stratège et financier de la Confrérie a été disqualifié par la Commission électorale, en raison d’une condamnation pour malversations financières.
Pour compenser son déficit de crédibilité, la confrérie s’appuie sur une robuste assise financière. Si les autres candidats axent leurs efforts sur les médias, les Frères mènent en effet une campagne de terrain impressionnante. Les maisons bordant la route du stade sont tapissées de posters exhibant un Morsi au sourire serein. A l’entrée de l’enceinte, les tee-shirts et gadgets à l’effigie du candidat s’arrachent. Les discours des invités sont ponctués de feux d’artifice. Un chant de campagne a même été composé, entonné par les occupants de l’estrade, mains empoignées et bras entortillés.
Ces outils de marketing politique véhiculent un message limpide : notre candidat est Coran compatible. Le slogan à trois volets « l’islam est la solution, le Coran notre Constitution et le Jihad (effort) notre moyen » est martelé. Derrière l’habillage religieux se cachent bien sûr des intentions politiques. L’enjeu est l’électorat du parti salafiste Nour, second du scrutin parlementaire, qui soutient le banni Aboul Fotouh. Morsi ne désespère pas de convaincre ses sympathisants, et les deux intervenants du meeting sont d’ailleurs des théologiens connus pour leurs positions radicales : Ragheb Sargani et Mohamed Abdel Maksoud. Or, dans le match des drapeaux et des références, l’étendard de l’Egypte (noir, blanc, rouge) domine le vert de l’islam, et c’est aussi de tricolore que se parent les affiches du candidat. On joue même l’hymne national avant qu’un chanteur débarque sur l’estrade pour crier son amour du pays.
La performance divertit la foule qui attend son héros en retard. Les quatre premières heures du meeting sont meublées par des slogans incantatoires : « Si Dieu le veut, Morsi sera gagnant, Si Dieu le veut, au premier tour ». Beuglés par un animateur aux robustes cordes vocales, ils sont repris d’une seule voix par l’assistance. Le conditionnement opère. Lorsque Mohamed Morsi apparaît enfin, au son d’une musique de péplum, la foule jubile. On découvre un homme engoncé, hybride d’un Bisounours et de Patrick Balkany. Pourtant, il entre en communion avec le public, et chacune de ses tirades, déclamée d’une voie chaude et rocailleuse, se conclut par un vacarme d’applaudissements.
Nul besoin de développer un programme, Morsi affirme qu’il est le meilleur pour toutes les composantes de la société. « Les Enfants, les Femmes, les Etudiants, les Chrétiens … » alimentent sa litanie. Un autre concept-clé est celui de « Nahda » : la Renaissance. Renvoyant à un âge d’or de la civilisation musulmane, il implique de puiser dans le Coran les solutions aux problèmes contemporains. « On nous parle de droits de l’homme, mais ça fait 1400 ans qu’on connaît les droits de l’homme, ils sont dans le Coran ! » s’exclame-t-il.
A la fin de la soirée, aucune idée précise des droits de l’homme version Morsi ni des modalités d’exécution du projet islamique n’émerge, mais les habitants du Fayoum quittent le stade en arborant une mine réjouie. C’est ce qu’on appelle un meeting électoral réussi.
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