La France fait partie du top 5 peu envié des pays comptant le plus de morts du coronavirus. Depuis des années, les dirigeants que nous avons placés aux responsabilités ont mis a mal notre souveraineté sanitaire. Pourtant, une autre politique est possible.
La crise sanitaire mondiale que nous traversons l’aura montré : la santé doit faire partie des domaines régaliens de l’État. Pour survivre, un pays doit être souverain en matière de santé.
L’épreuve que nous vivons a mis à jour le déclassement de la France, démontrant sans équivoque sa dépendance en matière de santé, situation dramatique qui a rendu impossible la première mission de l’État : protéger ses citoyens. Retrouver l’indépendance de notre pays en matière de santé est donc la clef d’un nouveau départ de la France.
Ne plus laisser faire
80% des principes actifs de nos médicaments sont importés. Les usines et les chimistes européens sont délocalisés. Seul le libre-échange régit l’industrie de la santé. La recherche du moindre coût a commandé notre politique industrielle tout comme celle de la santé et la désindustrialisation dans ce domaine n’a suscité aucune inquiétude. Il y a encore quinze ans, la France était l’un des premiers pays producteurs de médicaments. Elle n’est plus aujourd’hui que le cinquième. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment des gouvernements ont-ils laissé faire sans réagir ?
Pour retrouver son indépendance et sa souveraineté en matière de santé, il ne faut pas chercher très loin : la France doit s’inspirer de sa propre politique de l’armement.
Penser à long terme
Il existe, en effet, plusieurs similitudes entre industries de défense et industries de santé, à commencer par le fait que ce sont des industries réglementées, leurs produits n’étant pas en vente libre et leurs prix fixés par l’État. Mais la plus importante similitude est sans doute la nécessité de penser le temps long. Entre l’idée et le produit sur étagère, pour un avion, un missile, un médicament ou un dispositif médical, il existe un cycle de Recherche et Développement long et coûteux. Ce cycle, parfois hasardeux, nécessite des investissements conséquents. Développer un médicament prend au moins huit ans et coute au bas mot 800 millions d’euros. Toutes les entreprises ne peuvent s’offrir ce luxe du temps long et c’est à l’État de leur donner la perspective nécessaire par une politique industrielle.
A lire ensuite: Berlin poignarde la défense européenne
La DGA[tooltips content= »Direction générale de l’armement NDLR »](1)[/tooltips] a une double mission : acquérir, pour le compte des forces armées, les équipements de défense nécessaires ; investir dans l’outil industriel de défense, pour sauvegarder ce qu’on appelle la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD).
Ce modèle permet de protéger un savoir-faire national et d’acquérir des équipements de pointe au meilleur coût pour la Nation, tout en donnant aux industriels les perspectives de moyen terme qui leur garantissent les carnets de commandes dont ils ont besoin.
Un modèle économique qui a fait ses preuves, et à décliner
Pour renforcer ce dispositif, et par dérogation au principe d’annualité budgétaire, l’État a conçu des Lois de Programmation Militaire (LPM), qui, tous les cinq ans, permettent d’anticiper sur les besoins des armées et donc de passer les commandes nécessaires aux industriels.
Cette LPM s’appuie sur un Livre Blanc de la Défense qui procède à une revue stratégique des menaces et des mesures à prendre pour les contrer. Chaque année, le budget de la Défense dans le Projet de Loi de Finances, décline les orientations de la LPM. Ainsi il alimente la DGA à hauteur d’environ 13 milliards d’Euros, tant pour l’acquisition des matériels (80% du budget) que les investissements de recherche et de développement qui ensuite vont irriguer les entreprises de défense. Le corps des Ingénieurs de l’Armement, spécifiquement formés à cette mission, dialoguent au sein de la DGA, avec les industriels et leurs centres de R&D jusqu’à l’arrivée des commandes.
A lire aussi: A l’hôpital, la crainte du retour à la normale
La France doit aujourd’hui bâtir un dispositif de santé, robuste, innovant, compétitif et exportateur, ce qu’elle a su faire pour l’armement. Elle peut décliner ce modèle, précisément parce que la santé est un domaine très technique qui exige énormément de R&D, entre 25 et 45% du prix du produit au final.
La santé, comme l’armement sont des domaines de spécialistes : l’État doit avoir un corps d’ingénieurs de santé comme dans l’armement, et prendre les mêmes moyens, recrutements par domaine et la même organisation, une délégation générale qui oriente, planifie les efforts de l’État dans la durée en liaison avec les industriels. La DGA compte diverses directions (terre, air, mer, dissuasion, espace, missiles) avec, en tout et pour tout, 9700 personnes. Elle conduit les programmes de A à Z, gère les budgets, les compétences et surveille tant les marchés étrangers que les chaînes de valeurs françaises à protéger. Comment ne pas voir les avantages d’une telle délégation générale à la santé pour la France ?
Produire chez nous
La santé est enfin et je l’ai déjà dit, un domaine régalien : au même titre que l’agriculture, elle fait partie des domaines-clés des compétitions entre nations. L’enjeu des molécules, de l’Intelligence Artificielle appliquée à la santé, des laboratoires et des chaines de valeur, la protection de la propriété intellectuelle, la définition et la protection des technologies-clés, l’animation d’un tissu industriel, le soutien de l’exportation, tout cela constitue des enjeux de souveraineté majeurs.
A lire aussi: L’économie de la santé existe, le coronavirus l’a rencontrée
Il faudra aussi revoir la question cruciale du prix. Fixé chaque année dans le PLFSS[tooltips content= »Projet de loi de financement de la Sécurité sociale NDLR »](2)[/tooltips], le prix des médicaments n’incite pas les industriels à produire en France. Si on appliquait ce raisonnement à l’armement, il y a bien longtemps que le Rafale aurait été remplacé par un F-16. La souveraineté a un prix : il faut le payer et faire ensuite que le tissu industriel, en exportant, rembourse l’État par le jeu classique des impôts ou des « royalties ». Au demeurant, ce prix, s’il est garanti sur plusieurs années (dans le cadre d’une loi de programmation de santé) pourrait baisser car un engagement dans la durée – donc la prévisibilité de la production – est un facteur important dans les calculs d’un industriel.
Grâce à ce plan, beaucoup de gaspillages seront évités (les stop and go des investissements comme la santé le fait depuis trop longtemps), on dotera l’État d’acteurs capables de faire de la stratégie (R&D, industrielle et export), et on le réhabilitera ainsi dans ce qu’il a de plus positif : l’investissement pérenne au service de la nation tout en laissant vivre un tissu industriel innovant, compétitif et exportateur.
Après cette épreuve tragique, la France doit impérativement devenir un État souverain en matière de santé.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !