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Hydroxychloroquine contre le Covid-19: faut-il attendre une preuve?


Hydroxychloroquine contre le Covid-19: faut-il attendre une preuve?
Didier Raoult © Daniel Cole/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22446015_000040

La méthode de Didier Raoult n’est pas fantaisiste


La question de l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 a donné lieu à de bien âpres débats. Plusieurs semaines après les premières déclarations du Professeur Didier Raoult, le public n’a pas encore une réponse dans le sens d’une irruption claire et évidente d’une vérité qui met fin à la polémique et obligerait tout le monde à la reconnaître ! Autrement dit quelque chose comme une apparition de la vierge devant une foule. Or, cette « preuve scientifique » imaginée et fantasmée est une rare exception. Dans la réalité pour la plupart des médicaments mis sur le marché, elle n’est jamais été apportée et on se contente d’une simple corroboration de l’expérience clinique. 

Deux écoles

L’un des éléments qui a rendu ce débat difficilement compréhensible pour les non spécialistes est que du côté de la science médicale il y avait deux groupes : les tenants d’une recherche clinique lente basée sur des essais cliniques comparatifs d’un côté, ceux qui privilégient une observation pragmatique pour proposer une solution thérapeutique rapide aux patients de l’autre.

Si l’objectif des seconds est de soigner les patients, le but des premiers est de collecter des preuves scientifiques, ce qui n’est pas exactement la même chose. C’est que la preuve scientifique est une notion épistémologique difficile à cerner car la question posée n’est pas de savoir ce qui existe mais comment on peut le savoir et en être raisonnablement sûr. Or, pour le commun des mortels, la question de comment on sait et comment on peut savoir est escamotée au profit de la recherche d’une vérité absolue.

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Le philosophe de la science Karl Popper a abordé la démonstration de la validité d’une théorie en postulant que l’observation d’un seul fait expérimental qui la confirme ne peut pas la corroborer mais qu’en revanche, un seul fait contradictoire suffit pour la réfuter. Dans le cas des essais cliniques comparatifs d’un médicament ceux-ci ne pourront qu’établir si une différence d’efficacité observée entre un groupe traité et un groupe non traité est statistiquement significative avec un risque d’erreur de 5%. Une telle différence statistique peut-elle être considérée comme une preuve ? En tout cas, pas au sens de Popper puisqu’il reste 5% de chances de se tromper. Accepterait-on de considérer comme preuve de la résistance d’un nouveau pont autoroutier un risque d’effondrement de 5% ? Ce niveau d’erreur pour traiter une maladie, léthale ou non, est pourtant accepté couramment par les agences du médicament dans le monde entier! Il suffit alors aux laboratoires pharmaceutiques d’augmenter simplement le nombre de sujets dans l’étude pour que les différences statistiques observées deviennent significatives et ainsi plaire aux administrations de la santé. Mais la santé n’est pas le seul domaine où la preuve est reine. C’est probablement le droit qui utilise le plus la notion de preuve. En matière juridique, la preuve est la démonstration de la réalité d’un fait. Un risque d’erreur de 5% ne démontre aucunement un fait (exemple concret), mais n’est qu’une convention arbitraire de la présomption d’une réalité possible et l’évaluation de l’innovation en médecine semble s’en accommoder dans la plupart des cas.

La chloroquine, ou hydroxychloroquine, contenue dans les medicaments comme la Nivaquine ou Plaquenil (notre photo) divise les medecins et les politiques apres des tests prometteurs dans le traitement du coronavirus. © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage: 00951798_000001
La chloroquine, ou hydroxychloroquine, contenue dans les medicaments comme la Nivaquine ou Plaquenil (notre photo) divise les medecins et les politiques apres des tests prometteurs dans le traitement du coronavirus.
© ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage: 00951798_000001

Querelle sur les groupes témoin

Ce n’est pas tout. Les études sur des patients traités ne comportant pas de groupe témoin sont principalement critiquées pour ne pas être représentatives, soit parce qu’elles ont été réalisées sur un trop petit nombre de sujets, soit parce qu’elles ne sont pas comparatives et « randomisées » (deux groupes, l’un traité et l’autre non traité, les sujets composant les groupes tirés au hasard).

Or, un essai thérapeutique comparatif réalisé dans les règles de l’art de la recherche clinique ne génère que des résultats qui concernent les sujets de l’étude. Ces résultats sont-ils représentatifs, c’est-à-dire peuvent-ils être extrapolés au reste des patients de la population ? Pas vraiment, car pour ce faire il faudrait que les patients recrutés dans l’essai clinique soient un échantillon représentatif de la population de référence, c’est-à-dire qu’ils soient tirés au sort sur une liste de tous les patients, ce qui est impossible puisque de telles listes n’existent pas sauf parfois dans certaines maladies dites rares. Dans ce dernier cas, les essais cliniques randomisées sont de toute façon impossible à réaliser car détecter des différences d’efficacité imposerait presque toujours d’avoir à recruter un nombre de sujets d’étude plus élevé que le nombre de patients souffrant de la maladie rare… 

Un autre problème mis en lumière ces dernières années est que beaucoup d’essais cliniques sont conduits sur des hommes, ce qui fait que l’efficacité et la tolérance des produits testés peut être différente chez les femmes… Or il ne suffit pas dans ce cas d’adapter simplement les doses à la corpulence car la différence des systèmes physiologiques masculin et féminin explique des différences d’efficacité et de tolérance bien plus importantes. 

La méthode Raoult

Heureusement, il existe d’autres approches d’évaluation de l’efficacité des médicaments : citons notamment l’approche par probabilités en incertitude (modèle dit Bayésien) et l’approche pragmatique en situation réelle qui semble être la voie privilégiée par le Pr Didier Raoult pour établir l’efficacité du protocole thérapeutique hydroxychloroquine + azythromocyne. Dans ce dernier cas, une cohorte de patients diagnostiqués Covid-19 bénéficie du traitement et leur statut virologique et clinique est observé. Rappelons en premier lieu qu’une telle cohorte observationnelle n’est pas moins représentative que la population d’un essai clinique comparatif randomisé. 

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Enfin, cette approche pragmatique est méthodologiquement robuste quand il s’agit d’actions médicales dont les conséquences objectives sont dichotomiques (succès ou son absence), aisément observables et qu’il y a un degré d’urgence : arrêt d’un saignement, réduction d’une fracture ou la disparition d’un agent pathogène comme le coronavirus. L’expérience médicale acquise par cette cohorte de patients traités n’a donc pas moins de valeur que l’expérience acquise par un essai clinique comparatif. Il reste bien entendu la question de la tolérance. C’est bien évidement une question cruciale pour une nouvelle molécule dont le périmètre des effets secondaires est encore mal connu. En revanche dans le cas de molécules parfaitement connues et largement utilisées depuis des décennies (comme l’hydroxychloroquine et l’azythromycine) cette question ne se pose pas. Par ailleurs, le problème des effets secondaires ne semble d’ailleurs pas concerner le paracétamol qui est une molécule mise sur le marché en 1955, soit 6 années après la chloroquine, et recommandée actuellement par les autorités en automédication pendant la période de confinement, alors qu’une mauvaise utilisation pourrait détruire le foie.

Ainsi, quel que soit le niveau d’efficacité réel de l’association hydroxychloroquine + azythromycine, le rapport bénéfice/risque ne peut ainsi être que très bon puisque le dénominateur est très faible. C’est tout ce qu’est censé considérer un médecin et ce qu’attend un patient.

La médecine est une démarche au service des patients. Les théories dogmatiques ne sont que des catéchismes d’une science présentée comme une religion mais dont la réalité est loin des fantasmes des certitudes et vérités éclatantes. Le mélange insupportable des discours divergents entre médecins traitants, médecins chercheurs, épidémiologistes et administrateurs de la santé a créé une cacophonie, généré des tensions inutiles et peut être des espoirs déplacés.

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Docteur en Médecine spécialiste en Santé Publique, Docteur en Sciences économiques, Titulaire d’une Habilitation à Diriger des Recherches, Professeur invité à l’Université Russe d’Economie Plekhanov. Auteur de « Economie de la Santé » (Elsevier-Masson), Dictionnaire commenté d’Economie de la Santé (Masson), Comprendre la Pharmacoéconomie (John Libbey), Dictionnaire raisonné des termes des entreprises du médicament (Flammarion Médecine Sciences).

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