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Apocalypse 2.0, le retour de la vengeance


Souvenez-vous, c’était en 1972. Donnella Meadows, Jorgen Randers et Dennis Meadows, trois analystes du Massachussetts Institute of Technonoly soutenus par le Club de Rome publiaient The Limits to Growth (Halte à la croissance, en français), probablement l’étude néo-malthusienne la plus célèbre de tous les temps. The Limits to Growth, c’était l’Apocalypse 1.0 : si rien n’était fait pour contrôler la croissance de la population mondiale (3,8 milliards d’individus à l’époque), nous allions bientôt assister à une gigantesque catastrophe économique, écologique et humaine ; les terres cultivables viendraient à manquer, les ressources naturelles seraient épuisées et la pollution rendrait toute vie sur terre pratiquement impossible.

Retour sur Apocalypse 1.0

L’idée clé de The Limits to Growth tient en deux constats : nous vivons dans un monde fini où la plupart des ressources qui permettent la survie de l’espèce humaine – terres arables, énergies fossiles etc… – existent en quantité limité et, surtout depuis la révolution industrielle, la population humaine ne cesse de s’accroître. Évidemment, l’idée selon laquelle les ressources naturelles à notre disposition sont limitées par la nature ne date pas de 1972 mais ce que le Club de Rome apporte de nouveau dans ses simulations, c’est l’idée d’une croissance exponentielle de notre consommation desdites ressources.
Prenons l’exemple du pétrole : à l’époque où le Club de Rome publie The Limits to Growth, on évaluait les réserves prouvées de pétrole à quelque chose comme 583 milliards de barils et la consommation annuelle tournait à environ 18,8 milliards de barils par an ; de là, en posant l’hypothèse d’une consommation stable de pétrole, on estimait que le stock serait épuisé 31 ans plus tard ; c’est-à-dire en 2003[1. Le calcul n’a rien de sorcier ; c’est une simple division : 583 divisés par 18,8.].
Or, nous expliquent les auteurs du rapport, ne serait-ce que parce que la population mondiale augmente, il est tout à fait ridicule d’imaginer que nous puissions nous satisfaire de 18,8 milliards de barils indéfiniment. L’apport du Club de Rome consiste donc à introduire des estimations de croissance de notre consommation dans ses modélisations et à en déduire que l’épuisement des réserves aura lieu beaucoup plus tôt que prévu. Typiquement, avec une croissance annuelle de la consommation de 3,9% – hypothèse retenue dans The Limits to Growth – ce n’est pas en 2003 que les puits de pétrole seront à sec mais au bout de 20 ans, soit en 1992.

Il ne vous aura pas échappé que la prédiction ne s’est pas avérée exacte. Mieux encore : non seulement nous n’avons toujours pas pompé cette fameuse dernière goutte de pétrole mais, sur la base des dernières données disponibles[2. J’utilise dans cet article les données collectées par BP.], il semble qu’avec une hypothèse de consommation constante il nous reste du pétrole pour un peu plus de 43 ans. Oui, vous avez bien lu : alors que la population mondiale a augmenté de 83% et que nous avons consommé la bagatelle de 958 milliards de barils depuis 1972, les réserves prouvées actuelles devraient, si nous conservons le même rythme de consommation, nous permettre de tenir non pas 31 ans, comme on le croyait en 1972, mais 43 ans. Le Club de Rome s’est donc magistralement planté ; et pas qu’un peu.

Oh, bien sûr on nous explique que les simulations de The Limits to Growth n’étaient pas des prédictions, que les chiffres du rapport n’étaient que des illustrations, que dans le cas du pétrole, les auteurs avaient prévu la possibilité que les réserves se révèlent finalement plus importantes que prévues, que le technologie progresse etc… Il n’en reste pas moins que les résultats des simulations ne collent pas à la réalité observée. Ainsi, leurs modélisations ignorent le principal mécanisme de régulation de nos sociétés : le marché et le mécanisme des prix.

La main invisible a encore frappé…

Si les auteurs de The Limits to Growth ont certainement de nombreuses qualités, ils n’en sont pas moins de piètres économistes. À vrai dire, ils ont totalement évacué le phénomène économique et extrapolent des tendances comme si la rareté n’avait aucune incidence sur la consommation ni la production. Ce que n’importe quel étudiant en première année d’économie sait, et que les auteurs du Club de Rome ont superbement ignoré, c’est que quand une ressource recherchée se fait rare, son prix augmente et que cette augmentation du prix, sans qu’aucune planification centralisée ne soit nécessaire, va déclencher deux types de réactions. Là encore, l’exemple du pétrole est tout à fait symptomatique des failles de des approches malthusiennes en général.

En effet, dès l’année qui suit la publication du rapport, le premier « choc pétrolier » va propulser pour la première fois le baril de brut au-delà des 40 dollars[3. Les prix sont exprimés en dollars actuels – c’est-à-dire qu’ils sont corrigés de l’inflation. Pour information, les deux pics historiques du prix du baril sont de presque 112 dollars actuels en décembre 1979 et de 130 dollars actuels en juin 2008.] et c’est alors que joue le premier effet : la croissance de notre consommation, presque immédiatement, a ralenti. C’est la première réaction possible : quand le prix d’un bien augmente, sa consommation baisse ou, du moins, croît moins vite. De fait, cela fait maintenant quatre décennies que nous économisons cette ressource.
Prenez nos voitures par exemple : nous avons complètement changé nos habitudes de consommation pour intégrer cette contrainte de prix. La capacité d’une voiture à consommer peu est aujourd’hui un élément déterminant de nos actes d’achat et nous sommes même prêts à investir des montants conséquents dans l’acquisition des technologies les plus économes : moteurs plus performants, carburants plus efficaces, voitures hybrides, dispositifs start and go… La consommation moyenne des voitures vendues en France est passée de 8,55 litres en 1988 à moins de 7 litres actuellement. Du coup, là où le Club de Rome tablait sur une augmentation de 3,9% par an, le rythme de progression de notre consommation de pétrole depuis 1972 n’a été que de 1,4% par an – deux fois moins vite que prévu. En quatre décennies, l’économie mondiale a réagi aux chocs pétroliers en organisant la gestion de cette ressource rare mieux que n’importe quel organisme de planification.

Mais ce n’est pas tout. Une erreur commune consiste à penser que les réserves prouvées constituent le stock de pétrole disponible sur terre. Par réserves prouvées, il faut entendre la quantité de pétrole qui pourrait raisonnablement être extraite des gisements connus si les conditions économiques et techniques restent inchangées. Et voici la seconde règle : quand le prix d’une ressource augmente, les producteurs ont tout l’intérêt du monde à investir dans la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement, de nouvelles méthodes d’exploitation ou de ressources alternatives. Et ce, d’autant plus qu’un régime de prix élevé leur en donne les moyens. « À 200 dollars le baril de pétrole, disait un de mes professeurs, on en trouvera sous votre salon. »

Repassez-vous le film des quatre décennies en question : des gisements à bas coût du moyen orient, nous sommes passés aux forages en haute mer, à la prospection en milieux extrêmes, puis aux sables bitumeux canadiens, aux pétroles de schiste et il existe même aujourd’hui quelques projets très sérieux de pétrole de synthèse[4. Voir, par exemple, le BFS Blue Petroleum.] ! Résultat : en quarante ans, les réserves prouvées mondiales sont passées d’environ 583 milliards de barils en 1972 à plus de 1 383 milliards de barils au dernier pointage – c’est-à-dire qu’elles ont largement plus que doublé en quarante ans.

Et maintenant ? Apocalypse 2.0 !

On aurait pu penser que les prophètes de l’apocalypse avaient profité de ces quatre décennies pour comprendre leur erreur. Eh bien non : figurez-vous que le Club de Rome a décidé de remettre le couvert pour les quatre décennies qui viennent en publiant ce mois-ci 2052 : A Global Forecast for the Next Forty Years. Mêmes causes, mêmes effets : les auteurs n’ont manifestement toujours pas compris qu’ignorer les forces du marché revient tout simplement à ignorer les êtres humains, comme si nous pouvions être comparés à des branches de bois mort portées par le courant. Une fois encore, on verra des mathématiciens aux barbes vénérables nous expliquer ce que signifie une croissance exponentielle et nous rappeler que nous vivons sur le troisième caillou en partant du soleil. Une fois encore, les thèses malthusiennes vont faire la une des médias et constituer le cœur du discours politique. Et dans quarante ans – ô surprise – on réalisera qu’ils se sont encore une fois trompés.



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