Un des grands noms du monde des lettres belges est mort le 12 avril d’une crise cardiaque dans le taxi qui le menait à l’hôpital.
Triste nouvelle en ce lundi de Pâques : le cœur de Jacques De Decker s’est arrêté de battre. Une figure tutélaire des Lettres belges, ô combien amicale, si attentive à ses cadets dont beaucoup lui doivent tant, s’efface. Enthousiaste, généreux, présent sur tous les fronts, Jacques De Decker aura, des décennies durant, incarné et défendu les Lettres belges, tant flamandes que romandes, car ce germaniste, formé à l’Université de Bruxelles par les plus grands – comme Henri Plard, le traducteur d’Ernst Jünger – connaissait sur le bout des doigts les langues et les littératures françaises, néerlandaises et allemandes.
Né en 1945 dans une famille d’artistes, son père était peintre connu, il fonda avec des amis, à dix-huit ans, le fameux Théâtre de l’Esprit frappeur. Dramaturge, traducteur et adaptateur, l’infatigable Jacques De Decker marqua le théâtre belge de sa lumineuse présence. Touche-à-tout, d’une intelligence et d’une culture phénoménales, mais aussi et surtout d’une sensibilité hors du commun, l’homme, qui se définissait comme « un ciseleur de textes » et comme « un artisan », fut présent sur tous les fronts : professeur, critique littéraire, romancier (son roman La Grande Roue, publié chez Grasset, eut des voix au Goncourt), biographe (un Wagner et un Ibsen chez Gallimard), traducteur, directeur de revue (Marginales), éditeur et directeur de collections (entre autres à L’Age d’Homme, avec son ami Jean-Baptiste Baronian), animateur littéraire (il a interrogé tout ce qui compte en littérature depuis cinquante ans) ; cet amateur de Gracq et de Simenon, coiffa aussi la casquette institutionnelle en devenant rapidement Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises.
Il y a moins d’un an, la mort de son frère Armand De Decker, ancien ministre qui fit l’objet d’une campagne assassine dans le cadre du Khazakgate, le frappa au cœur. Quelques mois plus tard, il quittait volontairement son poste à l’Académie pour préparer le centenaire de cette institution. Nul doute que ces deux événements l’ont touché au plus intime. Ces derniers jours, il relisait Simenon et souhaitait aux amis de bonnes Pâques, « malgré tout ». Cet homme délicieux, amateur de whisky irlandais et mélomane averti, était aux antipodes de toute forme de sectarisme ; homme d’influence et même de pouvoir, il aura pourtant sacrifié son œuvre à la vision qu’il avait du service rendu à la littérature comme à ses confrères. Terrible perte, vide béant, absence cruelle. Sit tibi terra levis !
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