Quand l’air du temps se fait lourd, lire François Weyergans est une échappée. Sa réputation n’est plus à faire : paresseux, dilettante, adepte de Jean-Luc Delarue, toujours en retard. Sept ans après Trois jours chez ma mère, prix Goncourt 2005, Royal Romance, une histoire d’amour triste, de flâneries, de spleen et d’humour léger comme un entrechat de ballerine, vient pourtant d’arriver.[access capability= »lire_inedits »]
Royal Romance devait s’appeler Mémoire pleine, clin d’œil aux smartphones qui renferment les messages des amants, les rendez-vous clandestins, les désirs, les peurs. Sur le dernier jeu d’épreuves, Weyergans a finalement choisi, comme titre, le nom du coquetèle préféré de son héroïne, Justine : moitié gin, un quart grand-marnier, un quart fruits de la passion, un soupçon de grenadine. Justine, qui n’aime boire que ce délicat breuvage, le fait découvrir à Daniel Flamm, double parfait de Weyergans. Justine est une jeune actrice en quête de rôles ; Daniel, un écrivain vagabond et élégant, amateur de beaux papiers, obsédé des femmes fugitives. Justine dit : « Tu m’appelleras ta petite garce, ça ira très bien avec ma robe rouge » ; Daniel répond à côté : « Parfois, je m’interdis de sortir dans la rue pour m’empêcher de croiser des femmes avec qui je voudrais passer la soirée, la nuit, une semaine, ma vie, en ayant la prétention de croire – laissez-moi leur parler – qu’elles seraient d’accord. »
Ils se sont rencontrés dans une librairie de Montréal. Ils se retrouvent au Reine Elisabeth, un hôtel de luxe. Ils se baladent au cœur des montagnes dans des voitures de location. Il y a d’autres hommes dans la vie de Justine, d’autres femmes dans celle de Daniel, des enfants également. Entre le Québec et la France, Berlin et l’Alsace, ils mêlent leurs corps et leurs sentiments, s’envoient des milliers de SMS et des cassettes enregistrées, font monter l’excitation en regardant des films pornos, jusqu’à la lassitude des années et de la proximité. Tout cela risque de mal finir : l’amour, on le sait, est un chien de l’enfer.
Les romans de Weyergans témoignent de son art de la digression. Dans Royal Romance, il y a Justine, bien sûr, mais aussi la joie ambiguë de la lecture des journaux, la Neuvième Symphonie de Beethoven, des théories sur le sel et les emplois fictifs, Arcane 17 d’André Breton, des films russes et des fulgurances sculptées avec détachement : « Raconter un drame aide-t-il à vous en libérer ? Bien sûr que non, bien qu’on nous fasse miroiter le contraire. On aimerait que ce soit comme ça, on aimerait être délivré, mais se souvenir est une horreur. Même quand la mémoire vous rend heureux, elle vous rend triste […] On a beau revenir en arrière, on ne peut plus rien changer. On y voit sans doute un peu plus clair, mais à quoi bon y voir plus clair quand c’est trop tard ? » À l’heure du formatage généralisé des mots, l’un de nos derniers plaisirs est de noter, dans un carnet, chacune des phrases de Weyergans.[/access]
François Weyergans, Royal Romance, Julliard, 2012.
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