Retour sur l’actualité confinement-people du moment, avec Thomas Morales et un peu de mauvais esprit…
Y-aura-t-il un nouveau monde d’après ? On peut en douter. Excepté le retour des « Figolu » dans nos placards, signe d’une société plus équitable et responsable, les bouchons devant les McDrive rouverts s’allongent. L’irrésistible appel de la sauce barbecue réveille la France périphérique dans la nuit.
L’industrie du divertissement piaffe
Masqués, gantés, tapis dans leurs voitures, des heures durant, ils patienteront et ne craqueront pas à quelques mètres du roi du hamburger. Qui sommes-nous pour juger un peuple confiné qui s’ennuie et qui a faim ? Pendant que les acheteurs s’impatientent, les vendeurs pestent, la machine économique bout, elle compte les jours, les minutes, les secondes, une vraie cocotte. Chaque matin, les bars refont leurs caisses, désespérément vides, et ce rideau de fer qui restera toujours baissé après le 11 mai. Pour ne pas perdre la main, les coiffeurs s’exercent au « air-coiffure » que les anglais désignent sous le nom de «air-hair », on dirait un groupe pop des années 1980. Le monde d’après a déjà un parfum de naphtaline. Tous les acteurs économiques dépriment et se rappellent cette maxime du prophétique Serge Benamou (José Garcia dans La Vérité si je mens) : « Mais putain, sans déconner, merde, on est en train de faire du Business ». Tous les « people », ces autres commerçants, entrepreneurs de leur propre personne, défiscalisés lusitaniens, sont dans les starting-blocks.
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L’industrie du divertissement piaffe, la billetterie tourne à vide, les musicos grattent dans leur salle de bain, les chanteurs vocalisent sur les balcons, tous ces artistes ou affiliés ont tellement besoin de s’exprimer, de communier avec leur public, oui, de partager leurs émotions, c’est qu’ils sont sensibles à la détresse humaine. Derrière l’artiste, il y a un cœur qui bat, peut-être même, une conscience citoyenne. Ils aimeraient tellement pouvoir aider l’hôpital, les éboueurs, les caissières, les livreurs et même les policiers. Ils veulent se rendre utiles à la Nation. Ils ont le désir d’agir. C’est louable et nous les remercions sincèrement. Ce don de soi, cet altruisme sanitaire, ça m’émeut presque si je n’avais pas aussi mauvais esprit. Je suis le genre de type, pessimiste par plaisir, adepte du verre à moitié-vide, coupeur en quatre, toujours à renâcler quand toute la tablée s’amuse.
Conteurs, blagueurs et chanteurs confinés
Alors, je m’interroge sur cet activisme, cette frénésie de visibilité, cette présence quasi-quotidienne en FaceTime, cette nécessité aussi de faire des phrases comme disait Audiard ne concerne pas seulement les marins. Les « grands » acteurs n’ont pas résisté à la tentation de la lecture, à la veillée. Nous les appellerons les conteurs du Covid-19. Sous une lumière souffreteuse, dans leur cuisine ou à leur bureau, des casseroles ou des livres derrière eux, ils récitent, pénétrés par l’atmosphère de la ville endormie, certains chantent, même les comiques tentent une blague à la sauvette. Je me moque, et je les comprends aussi. Une carrière, c’est fragile comme de l’organdi, ils ont mis parfois des années à en arriver là, à toucher du doigt cette célébrité, à construire patiemment les fondations de leur petite entreprise, à fidéliser une clientèle. Et un virus « saisonnier » détruirait tout ça, leur maison de maçon et leur image en béton armé. La France a peur et ils ont la trouille légitime qu’on les oublie. Qu’y-a-t-il de pire qu’un chanteur abandonné ? Ils savent que les métiers du paraître sont terribles, fugaces par nature, versatiles par mode. Alors, ce n’est pas un Covid-19 qui mettra un terme à leur carrière. Ils s’accrochent. Ils ne veulent pas éteindre la lumière, ni couper le son. Ils gesticulent pour clamer : « On est là, cher public, avec vous ! ». Peut-on leur reprocher cette réaction ? Cet instinct de survie professionnelle nous anime tous en ce moment.
Dans le monde d’avant, chacun de nous marchandait déjà sa vie, l’exposait sur les réseaux sociaux pour en retirer un quelconque profit, jouait des coudes pour briller, pour attirer l’attention, pour capitaliser un peu sur sa personne, à la fois producteur et consommateur, dans un mouvement perpétuel d’individualisme forcé. Rien ne dit que le monde d’après sera moins sauvage pour l’égo.
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