Bienvenue dans le plus grand tournant que notre monde moderne ait connu
L’épidémie de Covid-19 est l’événement fondateur du XXIe siècle, au même titre que la Guerre 14-18 a été l’événement fondateur du XXe siècle. La Première Guerre mondiale a décillé les yeux du monde, et tout particulièrement de l’Europe, sur l’illusion de 50 ans de progrès scientifiques et industriels forcément bénéfiques – les armes nouvelles précisément issues de ces progrès fulgurants faisant des millions de morts.
Le coronavirus met à bas 50 années de « post-histoire » fondées sur la prise de pouvoir de l’économie au détriment de la politique. Depuis le 1er janvier 2020, les dogmes qui régissent le monde depuis les années 80 marquées par le néolibéralisme imposé par Reagan et Thatcher se sont effondrés un à un.
La liberté individuelle ne prime plus sur la collectivité
Le plus spectaculaire virage en épingle à cheveux concerne la liberté individuelle. Quand les Chinois ont confiné la ville de Wuhan (11 millions d’habitants), puis la province du Hubei (50 millions d’habitants, presque la France), l’Occident s’est gaussé d’une dictature qui serait inacceptable chez nous. Las, depuis début mars en Italie et depuis le 16 mars en France, nous sommes confinés au même titre que plus d’un milliard de personnes à travers le monde. La liberté individuelle en a pris un (sale) coup : 135 euros d’amende et jusqu’à six mois de prison après trois récidives, si vous ne restez pas dans votre prison familiale, dorée pour ceux qui ont un grand jardin, oppressante en studio ou en appartement.
Et la liberté d’aller et venir sans entrave n’est pas prête de nous être rendue. La France, en coopération avec la Suisse et l’Allemagne, prépare une sortie de confinement agrémentée d’un système de « tracking » numérique. Une sorte de fil à la patte invisible, officiellement sur volontariat…
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La science n’est plus invincible
À propos du Covid-19, les médecins, tout particulièrement en France, se déchirent. La polémique opposant les partisans de la chloroquine aux opposants au professeur Raoult n’est pas la seule. On se chamaille autour des masques, indispensables pour certains, inutiles pour d’autres, autour de la durée de vie du virus dans l’air, sur des surfaces plastiques ou textiles, etc. Chacun excommunie l’autre, le lobbying des laboratoires bat son plein, les gouvernements sont désorientés. Malheureusement, nous ne sommes pas dans une pièce de Molière, mais dans le tourbillon d’une épidémie où l’on interdit, puis autorise, puis limite, puis encadre, des protocoles médicaux.
On en arrive, en France, à mettre en place des expériences avec des groupes témoins qui croient être pris en charge, mais qui ne reçoivent qu’un placebo. Pour vérifier l’efficacité des produits testés… en pleine pandémie. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais.
La mondialisation a explosé en vol
La mondialisation, tant vantée pour son efficacité, est sur la sellette. Le virus vient de Chine, mais il n’est pas le seul. La quasi-totalité des médicaments, autrefois élaborés chez nous, provient d’Asie. Les molécules sont synthétisées en Chine et en Inde, et parfois conditionnées en Europe. Quand la Chine est bloquée, adieu paracétamol et autres anti-douleur, anti-diabétiques et anti-cancéreux.
La France a abandonné son stock de 1,4 milliard de masques chirurgicaux et FFP2, en 2013, parce qu’il était possible de se fournir rapidement et massivement en Chine, dixit Olivier Véran, le ministre de la Santé. Hélas, c’est de là qu’est partie l’épidémie, et tout y a été bloqué pendant deux mois.
L’heure est à la réimportation des outils et des savoir-faire.
L’Europe n’a protégé personne
À 27 on est plus forts. Le slogan d’avant le Covid résonne de sinistre manière après quelques milliers de morts en Italie, France, Espagne… Le 12 mars, alors que la pandémie étranglait Milan, Turin, Venise, la Cour de justice européenne infligeait 7,5 millions d’euros d’amende à l’Italie pour « soutien abusif » aux hôteliers de Sardaigne (en 2008 !), assortis de 80 000 euros de pénalités par jour de paiement en retard.
Du même tonneau (ou pire ?) : Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission de Bruxelles, trouvait le 23 mars le temps de tourner une vidéo sur laquelle elle montrait comment il fallait, contre le virus, se laver les mains… en chantonnant l’hymne européen. Avec elle revenait l’ombre de Ponce Pilate, le gouverneur de la Judée du temps de Jésus, se lavant les mains devant le sort du Christ…
Les Italiens ont pris le geste pour une claque et on en a vu brûler le drapeau européen.
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Il a fallu un mois à l’UE pour trouver un accord sur la mise en œuvre du plan de stabilité (MES). Entre-temps, la « solidarité » européenne en a vu de toutes les (sales) couleurs : les Tchèques ont confisqué les masques destinés aux Italiens, les Français ont fait main basse sur ceux à destination de la Suède, les Allemands ont interdit toute exportation de matériel médical. Jamais l’Europe de la concurrence n’avait si bien justifié son credo !
Le retour des nations ?
Le discours d’Emmanuel Macron a évolué depuis sa première allocution télévisée, le 12 mars, dans laquelle il conjurait de ne « pas céder au repli nationaliste » et son discours du lundi de Pâques, dans lequel il a appelé à reconquérir notre souveraineté économique. On note même une évolution entre le 16 mars (2ème intervention TV) dans laquelle il parlait de souveraineté « française et européenne », ce qui est antinomique, puisque la seconde est censée recouvrir la première. Il parle maintenant bel et bien de souveraineté nationale et de « stratégie » européenne. Cela dit, les paroles n’engagent que ceux qui les écoutent. Jusqu’à présent, la France garde ses frontières ouvertes. On débarque à Roissy sans contrôle de température, et les policiers français postés à la frontière suisse à Bâle contrôlent surtout les frontaliers… français qui rentrent chez eux pour voir s’ils ont leur attestation de sortie. PV à l’appui pour les fautifs.
Le retour à la souveraineté passera-t-il par la (re)nationalisation de Renault et d’Air France, pour éviter la faillite de ces deux emblèmes industriels ? Bruno Le Maire ne l’exclut pas. Les privatisations, encore un dogme qui s’effondre !
À ce propos, deux dossiers pourraient permettre au gouvernement d’avancer dans le dossier de la souveraineté, sans attendre la fin de la crise, et tout en combattant la pandémie : la seule usine de chloroquine française, Famar à Saint-Genis-Laval (Rhône) fonctionne à plein régime[tooltips content= »Le Progrès, 23 mars 2020″](1)[/tooltips], mais elle est en redressement judiciaire. Et Luxfer à Gerzat (Puy-de-Dôme), unique fabricant de bouteilles à oxygène national, bien que fermé en juin 2019 par son actionnaire britannique, est en mesure de reprendre sa production sans délai. Les deux entreprises sont en attente de nationalisation pour survivre et fournir le pays. Étrangement, le gouvernement dit non à ces nationalisations, en pointant « l’idéologie » qui pousse ceux qui les réclament. Il y a encore loin des paroles qui commencent à changer aux actes…
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