Avec le Covid-19, le monde redécouvre les croyances populaires attachées aux grandes épidémies. Sans céder à la superstition, il faudrait savoir profiter de cette période de latence pour reconquérir autonomie et sens des limites.
Imprévisibles et invasives, les épidémies créent des situations de crise dont le caractère « apocalyptique » frappa déjà les Anciens : « Il est impossible de décrire les ravages de ce fléau ; il sévissait avec une violence inexprimable et comme inhumaine », écrit l’historien Thucydide de la peste d’Athènes (430 av. J.-C.). Différant en cela de la maladie, l’épidémie surgit tout à coup, sème l’épouvante puis disparaît, et le scénario de son passage est étonnamment constant à travers les âges : panique face à un mal venu d’un pays lointain – l’Éthiopie ou l’Asie centrale hier, la Chine aujourd’hui –, comportements irrationnels, relâchement des mœurs et des liens sociaux, catastrophe économique et démographique, migrations des villes vers les campagnes supposées plus sûres. Attisant les peurs et réveillant les pulsions asociales, l’épidémie est aussi, comme toutes les grandes catastrophes, un puissant révélateur anthropologique : tandis que certains risquent leur vie pour secourir autrui, d’autres se livrent au pillage et au stockage. Quand la mort rôde, pourquoi ne pas jouir de la vie à n’importe quel prix ?
La fuite d’autrefois
Les citadins qui ont été ces derniers temps critiqués pour avoir quitté la ville n’ont jamais fait que suivre instinctivement le conseil donné il y a vingt-cinq siècles par Hippocrate : « Pars vite et loin et reviens tard » ! Montaigne ne s’en est pas privé quand la peste ravageait Bordeaux (1585), ni avant lui les personnages du Décaméron de Boccace (1353), quittant Florence pour une villégiature où ils pouvaient s’adonner à des plaisirs intellectuels et charnels. Ce qu’on fuyait jadis était toutefois moins le confinement prophylactique que l’entassement des bien-portants et des malades dans des cités infestées par la maladie. Si la fuite semblait à l’époque la seule conduite sensée, c’est aussi qu’il existait encore un « ailleurs » où le risque paraissait moindre ; la notion de « contagion » étant alors
