Ma guerre en short. La chronique de Cyril Bennasar.
Aujourd’hui, mon fils de quatre ans demande à ma fille qui en a vingt-sept : « Il est où papa ? ». « Il doit être dans sa chambre » lui répond-elle. Le petit monte, ne me trouve pas, redescend et m’aperçoit dans le jardin. « Lisa elle a menti ! ». Je le reprends : « Lisa a menti. » Il répète, il sait qu’il n’y coupera pas, alors machinalement il répète « Lisa a menti ». Ca finira par entrer et nous y tenons beaucoup sa mère et moi. Si on ne fait pas gaffe, les années passent et on se retrouve avec des enfants devenus présidents de la république qui déclarent publiquement : « La France, elle a besoin de changement ». Si la bourse s’effondre, si l’immobilier éclate dans une bulle, si nos métiers sont frappés d’obsolescence programmée, son langage risque d’être son héritage le plus sûr et le plus précieux. Quand on sait que l’indicatif suit « après que » plutôt que le subjonctif, et qu’on entend à la radio « Après qu’ils aient crié allah akbar, ils ont ouvert le feu sur les enfants », on peut bien dormir dehors, on sourit, on se sent distingué. Et puis je me reprends : « Elle n’a pas menti, elle s’est trompée. Elle pensait que j’étais en haut alors que j’étais en bas. Elle t’aurait menti si elle avait su que j’étais en bas en te disant que j’étais en haut. Elle ne le savait pas, elle n’a pas menti, elle s’est trompée. Tu as compris la différence ?». « Mais non elle a menti. » Il ne veut pas que je le détrompe, quand il tient une information ou un savoir, il en est fier, il en ressent la valeur, alors il n’en démord pas. J’essaie de reprendre mon explication mais il est déjà parti en courant après le chien.
Heureusement, il ne m’a pas demandé si dans leurs déclarations depuis le début de la pandémie de coronavirus, nos responsables politiques s’étaient trompés ou s’ils nous avaient menti. J’aurais été bien en peine pour lui répondre mais j’aurais quand même essayé. Ils se sont beaucoup trompés et nous ont un peu menti. Comme les spécialistes de l’épidémiologie, comme les experts ou les pontes de l’OMS, ils se sont trompés. Comme tous les décideurs du monde, ils ont réagi avec une pandémie de retard, avec l’expérience des virus précédents, ceux qui ne sortent pas d’Afrique ou d’Asie, ceux qui traversent les populations en ne laissant sur le carreau que ceux qui de toute façon n’auraient pas passé l’hiver et en laissant les autres immunisés. Ils ont agi comme avec ces virus qui, si on les prend trop au sérieux, peuvent entrainer des dépenses inconsidérées et trainer le ministre dépensier dans le ridicule pour longtemps. Qui a envie de rester dans l’histoire comme l’incompétent qui a transféré des millions du trésor public vers les laboratoires pharmaceutiques pour rien ? Tout le monde peut se tromper et en l’occurrence, tout le monde s’est trompé.
« Mais alors papa, pourquoi les ministres ils ont menti ? » – « Pourquoi les ministres ont menti ! ». Parce que le coronavirus a pris le monde de vitesse, que le pays manquait de tout pour le combattre, de masques, de gel, de respirateurs, de tests, de traitements et d’un vaccin. Et que dans cette débâcle, les pauvres responsables politiques ne savaient plus à quels médecins se vouer, mais qu’ils devaient quand même nous mettre en ordre de bataille pour organiser la résistance. Alors ils ont menti à un peuple qui se jette sur les caddies pour du papier toilette à la première rumeur de pénurie. Ils ont menti pour éviter la panique, protéger les gens de leurs penchants idiots, freiner le virus et permettre aux hôpitaux de limiter la mortalité, ils n’ont pas menti pour couvrir un crime ou masquer des malversations. D’autres à leur place auraient peut-être dit toute la vérité, agi plus vite et fait mieux, on ne sait pas. Nous n’avons pas élu Churchill, nous ne sommes pas des Anglais en quarante.
« Mais papa, ce n’est pas beau de mentir ! ». C’est vrai mais si nous ne sommes pas des Anglais, nous ne sommes pas non plus des Américains. Ce n’est pas beau mais ce n’est pas un crime. C’est parfois une stratégie qui se défend. Tout le monde ment un peu, même les présidents en démocratie, parce qu’ils ont des comptes à rendre. Tu vois bien qu’à la télé, tous les jours on accuse, on dénonce, on prévient qu’ils auront affaire à la justice, les procureurs s’entrainent à froncer les sourcils et les baveux salivent. Une racaille de banlieue peut dire aux policiers : « M’sieur, c’est pas moi. On m’a vu, y’a mes empreintes et mon ADN mais sur le Coran, c’est pas moi. » Un président ne peut pas, sauf Trump qui est un peu menteur et un peu voyou, mais on lui pardonne, parce que c’est notre voyou. Mais regarde Clinton, il a menti, même le guide suprême du monde libre ne peut pas dire : « Ok je saute la stagiaire et alors ? Pas vous ? ». Et Bush ? Il a menti parce que dans un monde qui se féminise, on ne peut plus dire : « Je vais casser la gueule à Saddam, ça vous dit ? On sera revenu pour le spring break ». Alors ils mentent. Mais il est parfois plus civilisé de mentir que de dire la vérité. Tu verras quand tu seras grand et que ta femme te demandera : « Je m’trouve moche en ce moment, j’ai pas un peu grossi ? Hein ? » Ou qu’un de tes amis te demandera un avis sincère sur son recueil de poésie, on verra si tu ne préfères pas un gentil mensonge ou une subtile esquive à une méchanceté gratuite. « Mais papa, pourquoi ils n’ont pas dit qu’ils ne savaient pas ? Toi tu me dis parfois que tu ne sais pas. » – «C’est vrai mais c’est plus facile avec un enfant de quatre ans qu’avec des millions d’électeurs inscrits. Et puis c’est plus facile à la maison où nous vivons comme en dictature que dehors où c’est la démocratie. » – « Bon j’en ai marre papa, on joue aux soldats ? » – « D’accord, sors tes playmobils, on va casser la gueule à Saddam Hussein. »
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