Avant de publier un livre, les éditeurs français étudient précisément les courbes de la météo. Il n’y a pas que les paysans qui scrutent le ciel pour planter, semer ou cueillir. Les éditeurs sont, eux aussi, de redoutables marchands de quatre-saisons. L’été n’a pas encore pointé le bout de son nez que déjà, les romans de mai sentent l’huile à bronzer, l’anisette et la lavande. Après une campagne électorale harassante, débats et joutes sans fin, les lecteurs veulent oublier ces mots gris et sombres qui ont plombé sa digestion. Pacte de stabilité, dette publique, sécurité, immigration, croissance, désindustrialisation, basta !
Il est temps de leur remonter le moral. La recette est connue, il suffit de prononcer des mots magiques, les sésames de la latinité : Rome, Italie, Stendhal, Villa Borghèse, chaleur, poussière, essaim de Vespa, voix rauque et peau dorée. Quand je suis tombé sur le dernier roman de Jacques-Pierre Amette, Liaison romaine, je n’ai pas pu résister à cette tentation balnéaire. La brune incendiaire de la couverture me faisait de l’œil, elle me disait « Viens, achète-moi, tu ne seras pas déçu … ». Sa robe noire entrouverte, ses bras déployés sur la carrosserie d’une vieille Fiat 126 et puis cette bouche carnassière, lèvres charnues sur dents serrées, j’étais pris au piège. Incapable de poser ailleurs mes yeux dans cette librairie pourtant débordante de nouveautés. Ce serait mentir de dire que seule la brune caligulesque a déclenché mon acte d’achat : le nom de Jacques-Pierre Amette a irrémédiablement emporté mon choix. On sent parfois, à tort, quelques liens obscurs qui nous unissent à un auteur. Quelques bribes biographiques communes nous font imaginer des parentés littéraires. Une enfance provinciale, un Baccalauréat B, un service à l’Ecole Militaire, des piges jeune, là s’arrête cette connivence fantasmée. Car le précoce Goncourt 2003 pour La maîtresse de Brecht est un auteur confirmé dont la critique fait référence depuis longtemps.
Si on ajoute à ce tableau une médaille hussarde, le prix Roger Nimier 1986 pour Confessions d’un enfant gâté, Amette a tout pour me plaire. La couverture de son roman est cependant trompeuse car Liaison romaine est une descente aux enfers, abrupte, vertigineuse. Un largage en règle entre les ruines du Colisée et les eaux boueuses du Tibre. Un journaliste parisien est envoyé à Rome suivre les funérailles de Jean-Paul II. Il invite Constance, sa jeune amie à le suivre et à le perdre. Entre flashbacks bretons et moiteur d’une couche romaine, l’auteur se souvient, tente de comprendre et boit la tasse. Malgré des saillies apaisantes, il n’a jamais pénétré l’intimité de sa tendre amie. Il ne peut oublier ce corps duveteux, ses seins « admirables », « son silence dans le doux, le chaud, le lourd de l’étreinte ».
« Je fus frappé par sa silhouette lisse et admirable, virginale, venant tout droit d’une belle province française qui l’avait si longtemps séquestrée et protégée » écrit-il encore. Si en plus, on sait que cette Constance a passé son enfance à Nevers, tout un monde souterrain s’ouvre à nous. Secrets lycéens sous pluie bourguignonne. Mais ce roman n’est pas seulement le journal intime d’une défaite amoureuse, il est un prodigieux miroir sur le travail actuel d’un journaliste, la difficulté d’écrire un article juste. Le héros en fin de carrière se voit imposer une autre façon de rédiger ses papiers. Là où il peaufine son style, où sa prose s’emballe, il doit la maintenir, la brider pour qu’elle entre dans la sécheresse contemporaine des rédactions.
C’est l’un des aspects passionnants de ce court roman, le métier de journaliste qui se meurt devant tant de conformisme et en même temps, une femme qui vous quitte. Amour perdu et désillusion professionnelle : un merveilleux cri de désespoir.
Liaison romaine de Jacques Pierre Amette (Albin Michel)
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !