Les librairies sont fermées pendant le confinement. On aurait pu les considérer comme des commerces essentiels, déplore notre directrice de la rédaction.
« Lisez, cultivez-vous, retrouvez le sens de l’essentiel ». C’est l’excellent conseil que le président de la République nous a donné le 16 mars. Nombre de penseurs et de personnalités, métamorphosés en conseils en confinement, enfoncent le clou : cette drôle de guerre où l’arrière est mobilisé à ne rien faire doit être l’occasion de se reconnecter avec les vraies valeurs et le sens de la vie. «Si le coronavirus épargne l’intégrité de notre organisme, écrit Sylvain Tesson, il révélera la solidité de notre âme ».
En attendant cette épreuve de vérité, le confinement a au moins un avantage. Les Français ont le temps de lire. Je ne doute donc pas que beaucoup de mes concitoyens aient donc déjà commencé à lire la Recherche du temps perdu, à apprendre le chinois ou à rédiger leurs Mémoires.
France Culture: silence radio
Le problème c’est que cette invitation à la lecture et à la culture peut figurer dans la longue liste des injonctions contradictoires des princes qui nous gouvernent. Après « votez et restez chez vous », « lisez mais les librairies sont fermées ». Et on peut ajouter « cultivez-vous mais nous fermons France Culture ». En effet, dès le début du confinement, la chaîne publique a fermé boutique, comme son cahier des charges l’autorise – sans pour autant l’imposer. Comprenne qui pourra. Au moment où le secours de France Culture nous serait bien utile pour comprendre ce qui nous arrive, silence radio. Or, pardon pour cette considération mesquine, mais le contribuable la finance, qu’elle émette ou pas. Sans vouloir brusquer les journalistes et animateurs de la station (dont beaucoup sont sans doute frustrés d’être réduits à l’inactivité), on comprend mal que leurs fidèles auditeurs soient mis au régime sec (voire, horresco referens, au régime France Inter, ceci est une blague). Alors que tous les médias de France continuent à fonctionner en dépit des difficultés, la direction de Radio France a pris une décision pour le moins curieuse.
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Mais revenons aux librairies que l’exécutif ne considère pas comme des commerces essentiels, comme si l’homme se nourrissait seulement de pain. Toutefois, Bruno Le Maire, qui se soucie à la fois de l’élévation de ses concitoyens et de l’avenir économique du secteur de l’édition, a suggéré le 18 mars que certaines librairies restent ouvertes à condition de garantir le respect des mesures barrières comme dans les commerces de bouche. Eh bien, ce sont les libraires eux-mêmes qui ne veulent pas faire partie de la deuxième ligne définie par Emmanuel Macron.
Amazon réduit la voilure
Solveig Touzé, libraire à Rennes déclare à Ouest France que « le livre n’est pas un produit de première nécessité » comme l’alimentation et les médicaments. Samuel Chauveau, patron d’une librairie de BD au Mans renchérit, demandant en outre au gouvernement de faire cesser la concurrence déloyale d’Amazon et de la grande distribution. En somme, protégez-nous et que les lecteurs se débrouillent.
Y a-t-il un lien de cause à effet ? En tout cas, dans la foulée Amazon a interrompu ou fortement ralenti ses livraisons pour les produits non indispensables. Désormais, pas de liseuse, pas de bouquin. J’ai une pensée pour cette délicieuse vieille dame enfermée chez elle qui, n’ayant plus rien à lire, confie qu’elle est en train de s’abrutir. Promis, elle en trouvera bientôt sous son paillasson.
Netflix rafle le temps de cerveau disponible
On me dira que la plupart des Français ont des problèmes beaucoup plus sérieux. On dirait pourtant que, pour pas mal d’entre nous, la connexion à l’essentiel consiste surtout à se connecter à Netflix, voire à YouPorn ou Pornhub. Qui ont décidé d’accompagner leurs clients dans cette période difficile. Gratuit en Italie jusqu’au 3 avril, Pornhub offre une semaine de connexion aux internautes français.
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Résultat, les connexions à ces sites, comme à toutes les plates-formes diffusant du streaming, ont explosé, compliquant souvent la tâche des télé-travailleurs qui ne disposent plus d’assez de bande passante. Le Canard Enchaîné a révélé que ce phénomène amusait beaucoup les plus jeunes membres du gouvernement qui piapiatent sur leur boucle Telegram. « Si tu youpornes à 22h30, ça ne gêne personne », précise l’une d’eux. Selon l’Express, ces jacasseries numériques n’ont pas amusé Emmanuel Macron.
Quant au président de la Fédération française des télécoms, il nous appelle dans le JDD à la « responsabilité numérique » car « nous entrons dans une ère de discipline sociale ». Vous avez compris : mieux vaut consommer avec modération. Sinon, je vous fiche mon billet qu’en plus du reste, vous serez privés de Youporn.
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