La Réaction de Côme Martin-Karl, roman drôle et glacé, raconte l’errance d’un trentenaire parmi les groupes de l’ultra-droite.
Côme Martin-Karl, dont La Réaction est le troisième roman au compteur, est d’une noirceur réjouissante dans sa manière de passer au crible la galaxie de tous les groupuscules d’extrême-droite, identitaires, ultraroyalistes, complotistes, catholiques sédévacantistes, terreplatistes, et autres agités du bocal amusants et folkloriques, parfois dangereux. Son héros et narrateur, qui s’appelle Mathieu Richard, comme tout le monde, a la trentaine glandeuse après une école de commerce de troisième zone et une enfance dans le glacis pavillonnaire d’une famille recomposée.
Il y a une génération, il aurait très bien pu être du genre à tirer sur un président de la République le jour d’un défilé du 14 juillet mais il se révèle assez aboulique, au bout du compte. Surtout, il n’entretient aucune illusion sur son engagement, ne croit pas à grand- chose, même quand il adhère à un obscur Renouveau Réactionnaire et participe à une manif qui va avoir son martyr dans une baston avec les antifas.
Mathieu s’est fait un petit nom dans les milieux ultras par son art du trolling avec les profils de Béarnais2souche et quelques autres. Il vit chez un jeune aristo fin de race au peignoir crasseux qui ne mange que des saucisses cocktails. L’aristo fait le mécène pour Mathieu et deux autres trolls, une catho de « Joie et combat » et un masculiniste malingre. Pour compléter le tout, Mathieu est gay assumé, ce qui n’est pas si mal vu que ça dans un milieu où on garde un souvenir mouillé des statues d’Arno Breker. Un exemple du ton pince sans-rire de Côme Martin-Karl. C’est Mathieu qui parle de la rencontre de son ancien amant avec un jeune musulman converti : « Ils s’étaient rencontrés lors d’un colloque sur Bernanos, ç’a avait été un coup de foudre. Ils s’étaient chastement fréquentés pendant quelques temps, avant de coucher ensemble comme il est de coutume chez les chrétiens pratiquants ».
Au-delà de la peinture froide et hilarante de cette ultra-droite, il y a dans La Réaction le portrait d’une France toujours plus droitisée où les idées les plus folles – de la névrose mérovingienne (qui estime que le cauchemar commence avec l’imprimerie) au racisme biologique le plus décomplexé- finissent par infuser dans l’ensemble de la société, notamment via les médias, à l’exemple du Père Marie-Marie, gourou du Renouveau Réactionnaire qui avec sa tronche de moine des croisades, finit comme chroniqueur appointé d’un talk-show de chaîne d’info continue.
À travers le pâle Mathieu Richard, dépressif caché capable d’une subtile autodérision, c’est aussi le portrait d’un homme sans qualités, plus proche du Meursault de Camus que du cadet d’Ernst Von Salomon qui nous est donné ici. L’erreur serait de penser qu’il s’agirait d’un roman de gauche (elle en prend pour son grade) : on est plutôt ici du côté du Nimier du Hussard Bleu ou des Epées. Un des personnages de Nimier ne déclarait-il pas : « Je préfère rester fasciste bien que ce soit baroque et fatiguant » ? Alors que Mathieu Richard, lui, n’aura finalement gardé que la fatigue qui le mènera à un destin paradoxal dans une France qui appliquera, dans un futur proche, les idées auxquelles il aura fait semblant de croire.
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