Accueil Édition Abonné Migrants: grève générale dans les îles grecques

Migrants: grève générale dans les îles grecques

Reportage à Lesbos, centre des tensions


Migrants: grève générale dans les îles grecques
Manifestation contre les camps de migrants à Mytilène, Lesbos, 22 janvier 2020. © SIPA

À Lesbos, les 80 000 habitants grecs acceptent de plus en plus difficilement la présence quotidienne de 27 000 migrants. Le projet de création d’un nouveau camp de migrants sur un site protégé aggrave les tensions et menace l’environnement. Les îles grecques de Lesbos, Chios et Samos mènent ce mercredi une grève générale pour protester. Reportage.


Ils se sentent trahis. En juillet, comme dans nombre de circonscriptions, les habitants de Lesbos ont massivement voté pour la Nouvelle Démocratie [tooltips content= »Nouvelle Démocratie : parti de centre droit du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis. »](1)[/tooltips]. Pour eux, la cause était entendue : il fallait se débarrasser de Tsipras et de son parti, Syriza, qui avaient si mal fait face à l’invasion migratoire [tooltips content= »Pour mémoire, en 2015, un million de réfugiés et de migrants ont transité par Lesbos. »](2)[/tooltips] qui ravage Lesbos depuis l’été 2015 et avaient scandaleusement abandonné Lesbos à la gestion calamiteuse des ONG et des GO de Frontex avec la bénédiction de l’Union européenne. Le résultat des élections a fait espérer à la population que ses souffrances – totalement occultées, voire moquées, par la bien-pensance européenne, uniquement préoccupée par le sort des migrants – seraient prises en compte. Cet espoir a été douché fin décembre par l’annonce des mesures que le nouveau pouvoir grec se propose d’appliquer.

A priori, le projet du gouvernement Mitsotakis paraît aller dans le bon sens. Toutefois, une étude un peu attentive de son contenu permet de comprendre la colère qui gronde chez les insulaires. D’après le ministère de l’Intérieur, on compte actuellement à Lesbos 21 480 migrants de 108 nationalités différentes. Le célèbre camp de Moria, situé à cinq kilomètres de la capitale, Mytilène, objet de tous les commentaires compassionnels des médias mainstream et de toutes les pleurnicheries savamment mises en scène par des Susan Sarandon, Aï Weiwei, Cécile Duflot et autre pape François, en abrite plus de 19 000 à lui seul. Si l’on y ajoute la population (essentiellement des familles syriennes) du petit camp du quartier de Kara Tepe et le nombre (difficilement vérifiable, mais cependant important) de migrants locataires d’un logement en ville, le chiffre officiel est largement dépassé, le nombre réel se situant probablement autour de 27 000.

Une réponse adaptée à la situation?

Comparable en taille à l’Île Maurice, Lesbos compte 80 000 habitants dont environ 30 000 pour la seule Mytilène. On mesure aisément l’énorme impact sur l’île de cette vague migratoire qui, après une légère accalmie en 2017 et 2018, a repris avec force depuis le printemps dernier. Contrairement à ce qui est véhiculé par les médias, ces migrants illégaux ne sont en rien confinés dans leurs camps, ils ont une totale liberté de mouvement et la ville de Mytilène, à bout, est quotidiennement envahie par des hordes de jeunes hommes (la tranche d’âge 18-30 ans est de loin la plus importante) pas toujours bien intentionnés. Les vols à la tire et les cambriolages y sont légion et, la nuit, le centre-ville est abandonné aux dealers afghans et aux prostituées africaines.

À lire aussi: Les migrants viennent pour « nous sauver « 

Le projet du gouvernement est présenté comme la réponse adaptée à cette situation, que connaissent également, mais dans une moindre mesure, les habitants des autres îles de la mer Égée. Il s’agit de remplacer les actuels « hot spots » – donc pour Lesbos les camps de Moria et de Kara Tepe – par des camps fermés. Jusqu’ici, tout va bien, les Lesbiens vont donc reprendre possession de leur île. En réalité, les nouveaux maîtres d’Athènes pèchent soit par amateurisme, soit par cynisme, auquel cas ils n’ont aucune intention, en bons anywhere qu’ils sont, de se pencher avec sérieux et bienveillance sur les malheurs des pauvres somewhere des confins orientaux. Le projet prévoit en effet la création à Lesbos d’une structure fermée et surveillée pouvant accueillir 5 000 à 7 000 demandeurs d’asile attendant de bénéficier du statut de réfugié qui leur permettra de gagner la destination convoitée en Europe ou d’être expulsés vers d’autres horizons. Cette structure doit être installée non pas sur l’emplacement même de Moria ou à proximité – cette partie de l’île ayant trop pâti de la présence du « hot spot » depuis cinq ans –, mais à 80 kilomètres au nord-ouest de la capitale, à proximité du petit village d’Antissa (700 habitants) et du monastère de Kreokopou. Le gouvernement n’a pas trouvé mieux pour implanter son camp que ce site exceptionnel, classé Natura 2000, qui possède une forêt pétrifiée vieille de 20 millions d’années unique en Europe. Il n’a pas trouvé plus adéquat que cette région d’Antissa, qui associe avec équilibre et harmonie l’activité agricole traditionnelle (oliveraies et élevage de moutons) à un tourisme à échelle et à visage humains, très éloigné de celui qui voit des hordes d’estivants débarquer à Mykonos ou Santorin : outre la forêt pétrifiée, on vient ici pour les plages sauvages, l’observation d’oiseaux migrateurs rarissimes, les fêtes locales authentiques et la visite des nombreux monastères byzantins. De plus, le Patrimoine doit très prochainement entamer les fouilles (attendues depuis des décennies) du site antique d’Obrio Kastro, sur le territoire communal d’Antissa. C’est donc tout un écosystème éminemment précieux que le plan du gouvernement risque de briser. Un crime tant écologique que culturel.

Seuls les fusils parleront

Depuis le début de l’année, la mobilisation contre ce projet aberrant ne désarme pas. Les deux conseils municipaux de l’île (Mytilène et Ouest Lesbos) et la région Nord-Égée soutiennent le combat de la population pour la fermeture définitive du « hot spot » de Moria, qui a tant nui à la région de Mytilène, et contre la création de ce nouveau camp dont personne ne veut. C’est que personne n’est dupe du discours du gouvernement : que fera-t-on avec les 20 000 migrants qui ne pourront pas y être accueillis ? Seront-ils, comme promis, acheminés vers la Grèce continentale qui n’en veut pas davantage ? Combien d’entre eux seront effectivement refoulés, quand on sait qu’à chaque expulsion d’indésirables (jamais plus d’une petite dizaine d’individus) des affrontements extrêmement violents se produisent à Moria ou sur le port de Mytilène ? Comment l’État grec pense-t-il gérer cette masse humaine gigantesque dont l’agressivité se manifeste en permanence (incendies volontaires, caillassages de véhicules de pompiers, massacres de cheptel, pillages de maisons, règlements de comptes souvent mortels) et qui bénéficie du soutien intéressé des ONG (environ 2 000 personnes appartenant à plus de 80 officines) et des « antifas » autoproclamés ?

À lire aussi: ONG et migrants, le business du cœur

C’est à toutes ces questions qu’a répondu l’impressionnante mobilisation du 22 janvier : la grève générale a été massive et toute la population de l’île, élus en tête, est descendue dans les rues de Mytilène. Au terme de la gigantesque manifestation, Kostas Moutsouris, le préfet de la région, très applaudi, a dénoncé « ce complot du silence qui est le fait de l’Europe et du gouvernement, ce projet plus ou moins avoué de nous imposer un mode de vie et une religion différents, ce mépris pour des îles [tooltips content= »Celles de Lesbos, Chios et Samos, toutes trois touchées par le tsunami migratoire. »](3)[/tooltips] qui ont donné naissance à Sappho, Alcée, Homère et Pythagore. » Dans la foule, Dimitris, restaurateur dans un petit port près d’Antissa, confiait à ses voisins : « Si malgré tout le camp doit voir le jour, seuls les fusils parleront. »

Février 2020 - Causeur #76

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent La Parisienne existe-t-elle toujours?
Article suivant Le rastafari: un mouvement d’émancipation parti en fumée?
Professeur de philosophie depuis peu à la retraite, Gérard Thirioux partage son temps entre Lesbos et la France. Il est également metteur en scène de théâtre (plusieurs spectacles en Grèce ces dernières années).

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération