Sous pression démographique, nos campagnes se font coloniser par la ville. Jusqu’à perdre leur âme et leur beauté pétrie de vide en devenant des banlieues. Voire des bidonvilles.
Les mots en age sont les plus beaux, avec leurs longs a semblables à des soirs d’été, dans la Marche ou le Gévaudan. Il faut y mettre toute la bouche, la langue et surtout la mâchoire : visaaage, langaaage, paysaaage. On aimerait être au paysage, ce qu’est au visage Lévinas. D’ailleurs le paysage n’est-il pas le visage d’un pays, d’une province, des saisons de la vie ? C’est lui qu’on se rappelle dans la nostalgie d’une époque, d’une civilisation, d’un voyage ; lui qui nous échappe comme un sens.
Deux amours sont fatalement malheureuses aujourd’hui : du paysage et du langage. Toutes deux ne sont que trahisons, mauvais coups, dérobades, cuirs, mots pour un autre, platitudes, vexations, stabulations, chagrins. Et plus on aime plus on souffre, naturellement. C’est à cela qu’on reconnaît les faux amoureux, qui sont l’immense majorité : eux ne souffrent pas. S’ils n’étaient pas majoritaires, les paysages ne seraient pas à ce point massacrés.
La culture du paysage
La France n’a pas de culture du paysage, autant dire qu’elle n’en a pas d’amour. Elle n’en a que des théoriciens, qui sont à peu près le contraire. Il en va d’eux comme des théoriciens du langage, ou comme des experts en identité nationale : ils expliquent que tout va très bien, que même ça n’a jamais été si bien ; que tout ça est dans votre tête ; et que si désastre il y a, il n’est que d’apprendre à l’aimer pour le renverser en apothéose.
Le cœur des grandes capitales est certes gravement affecté par les changements de peuple et de civilisation, le tourisme de masse, la sursignalisation, la commercialisation, la prolétarisation générale et la croissante saleté, mais il n’est pas compromis dans son être même comme le paysage…
Je ne connais pour ma part que deux cultures du paysage : l’Angleterre et le Japon (où je ne suis jamais allé). L’absence de ces cultures ailleurs n’est pas une preuve d’incivilisation. L’Italie n’a aucune culture du paysage (sauf dans les tableaux). Elle est encore plus massacrée que la France. Au demeurant, il paraît que le Japon l’est aussi.
Libertés individuelles et paysage ont le même ennemi. Ce que j’ai vu leur être le plus fatal, au cours de ma vie (de sorte qu’on ne pourra pas venir me dire, comme d’habitude, que j’idéalise un passé fantasmé…), c’est la croissance démographique
