Une biographie d’Annabella, jeune première mythique, amie de Saint-Exupery.
Faites le test avec vos amis cinéphiles (ou non) : demandez-leur ce qu’évoque pour eux Hôtel du nord de Marcel Carné et sa distribution. Il y a 99% de chance pour qu’ils répondent spontanément Arletty et Louis Jouvet et qu’ils citent le fameux « atmosphère, atmosphère ».
Une actrice moquée sur le tournage d’Hôtel du nord
Et pourtant, les têtes d’affiche du film se nommaient Jean-Pierre Aumont (oui, oui : le père de Tina) et surtout Annabella, une des plus grandes vedettes françaises de l’avant-guerre. Mais il faut dire que le tournage de ce film ne fut pas une réelle sinécure pour l’actrice. Carné n’avait pas vraiment envie de tourner avec elle (« au point de vue talent, elle ne casse pas des meubles »). Quant au scénariste Henri Jeanson qui aurait souhaité que sa petite amie Odette Joyeux obtienne le rôle, il la surnomme Annabêta et s’emploiera à sacrifier son rôle pour développer ceux à l’origine secondaires de Jouvet et Arletty. La muflerie de Jeanson nous vaut une savoureuse anecdote puisqu’il aura affaire à Jean Murat, le mari d’Annabella : « Déjà irrité par le vilain sobriquet d’Annabello dont l’affuble le dialoguiste, l’acteur viendra botter les fesses de Jeanson… mais sans grand résultat ! Sans se retourner, ce dernier, peu téméraire, se contentera de ronchonner : « c’est du 43 ! » »
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Annabella nait en 1907 et dès son plus jeune âge désire faire du cinéma. Grâce à ses relations familiales (un père journaliste, Paul Charpentier, qui fut également l’un des fondateurs des éclaireurs de France et importa le scoutisme en France ; des oncles et tantes comédiens…), elle débute à l’écran dans le Napoléon d’Abel Gance. Les événements s’enchainent par la suite : une liaison avec Albert Dieudonné qui se terminera par la naissance de sa fille Anne, une carrière qui se poursuit chez Grémillon (Maldone), l’oublié Henri Fescourt avant d’exploser grâce à René Clair. C’est effectivement son rôle dans Le Million en 1931 qui propulse Annabella comme l’une des plus grandes vedettes françaises de l’avant-guerre. Elle retrouvera d’ailleurs son mentor pour incarner la fleuriste de Quatorze juillet (1933) qui figera à jamais son image de jeune fille naturelle et souriante.
Une biographie digne des historiens
Sacrée actrice préférée des Français en 1935, elle mène pourtant une carrière sans grand éclat (artistiquement parlant) sous la direction de Marcel L’Herbier, Raymond Bernard, Anatole Litvak (L’Equipage, avec Jean Murat qu’elle a épousé) ou encore Paul Fejos. De cette filmographie un peu terne, on peut isoler son rôle de belle tzigane dans La Bandera de Duvivier.
Comme beaucoup de comédiens français, Annabella va tenter l’aventure hollywoodienne. Zanuck, le patron de la Fox, tente de trouver une remplaçante pour Simone Simon (incapable d’apprendre correctement les dialogues en anglais) et cherche à la lancer sur le marché américain. Mais ses débuts ne sont pas concluants même si elle tourne Suez sous la direction d’Allan Dwan et qu’elle rencontre Tyrone Power qui deviendra son deuxième mari…
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Le travail qu’a effectué Eric Antoine Lebon est colossal : 500 pages denses et d’une précision rare. L’auteur s’intéresse à des sujets peu défrichés et procède avec la méticulosité de l’historien en s’appuyant sur de nombreuses sources, en justifiant chaque fait qu’il avance par des références précises (plus de 800 notes de fin !). Sa biographie est donc remarquable même si, la carrière d’Annabella étant ce qu’elle est (pas forcément très enthousiasmante), Lebon a tendance à privilégier un côté « privé » (les aventures et déboires sentimentaux de la belle) au détriment du côté « artistique ». Ce n’est évidemment pas un reproche adressé à l’auteur qui va jusqu’au bout de son rôle de biographe scrupuleux mais la conséquence logique d’une existence qui fut parfois plus intéressante que les œuvres laissées.
Un siècle de cinéma
Lebon revient en détails sur la vie américaine d’Annabella pendant la seconde guerre mondiale, son mariage avec le jeune Tyrone Power (il a sept ans de moins qu’elle) et sa désagrégation progressive, ses passades (avec notamment Roald Dahl), ses amitiés profondes (avec, entre autres, Saint-Exupéry et l’on apprendra qu’Annabella ne fut sans doute pas étrangère à la naissance du Petit Prince) et ses soirées mondaines où elle croisa le tout-Hollywood.
Si sa carrière américaine fut quasiment inexistante (citons néanmoins 13, rue Madeleine d’Hathaway), Annabella montera néanmoins sur les planches sous la direction d’Elia Kazan et John Huston. Son retour en France après la guerre mettra un terme à sa carrière cinématographique en dépit quelques tentatives de retour sous la direction de cinéastes médiocres (Georges Lampin, Jean Stelli). Pourtant, Annabella poursuit une existence étonnante avec ses liaisons avec un jeune toréador (Luis Miguel Dominguin qui avait 19 ans de moins qu’elle), avec Michel Romanoff, petit-neveu du tsar Nicolas II ou encore l’écrivain Jules Roy. Mais au-delà de ces aventures sentimentales, Eric Antoine Lebon dresse le portrait d’une femme généreuse et engagée qui après avoir soutenu l’effort de guerre participera à de nombreux projets caritatifs et deviendra visiteuse dans les prisons de la façon la plus anonyme qui soit. On a la surprise de découvrir qu’elle tissera, dans ce cadre, des liens d’amitiés avec Pierre Goldman !
L’auteur fait évidemment preuve d’une sincère admiration et affection pour la comédienne mais son ouvrage n’est pas celui d’un « fan transi » : il est rigoureux, parfaitement documenté et superbement illustré. Les admirateurs d’Annabella seront aux anges mais les autres, cinéphiles curieux, seront autant séduits par le portrait de cette femme attachante et libre que par l’évocation précise d’un siècle de cinéma…
Annabella, gardez le sourire ! Les mille et une vies de la jeune première d’avant-guerre d’Eric Antoine Lebon (L’Harmattan)
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