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Pauvres footballeurs !


« Non les footballeurs ne sont pas trop payés » : c’est par cette proclamation, publiée dans Le Figaro du 22 mars, que Frédéric Thiriez a réagi à la proposition de François Hollande de créer une tranche d’impôt à 75 % pour les revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros ; le président de la Ligue professionnelle de football se désolait aussi du fait que Nicolas Sarkozy se désintéressait de la cause des footballeurs, préférant se soucier du sort des entrepreneurs[1. Le président de la République avait jugé « choquants » les revenus des footballeurs professionnels, en janvier 2010 au cours de l’émission « Paroles de Français ».].

Thiriez a pris sa plume de Calimero : c’est trop inzuste de s’en prendre à ses pauvres footballeurs moins bien payés que les golfeurs et basketteurs américains ou que les pilotes automobiles allemands – justifier un culot monstre par un toupet d’acier, la ficelle est un peu grosse. Il rappelle donc que les footballeurs français affrontent en Coupe d’Europe des Anglais, Espagnols et Allemands encore mieux payés qu’eux­. Ce qui est parfaitement exact, mais Thiriez veut-il dire que plus on gagne d’argent mieux on joue ?[access capability= »lire_inedits »] Cela doit être ce qu’on appelle les « valeurs du sport ». Du reste, nos pauvres footballeurs injustement traités d’enfants gâtés jouent aussi contre d’encore plus à plaindre qu’eux. Des Chypriotes, par exemple. L’APOEL Nicosie, qui a éliminé l’Olympique lyonnais de la Ligue des champions, est doté d’un budget annuel de 10 millions d’euros, équivalent à celui d’une équipe de Ligue 2 française – et somme qui représente à peine le double du revenu annuel du seul Yoann Gourcuff, remplaçant à Lyon. Alors que Thiriez nous pardonne de ne pas sortir les mouchoirs quand, évoquant la « tragi-comédie de Knysna », il brandit le « deux poids-deux mesures ». Rappelons que, durant la Coupe du monde de football, des milliardaires en short refusèrent de s’entraîner devant les caméras du monde entier. Et pourtant, il ose : « Mais y a-t-il une éthique à géométrie variable entre le football, où la moindre faute suscite un tsunami médiatique, et les autres secteurs de la société où l’erreur est tolérée voire masquée ? » D’une part, il nous a échappé que les footballeurs étaient les seules victimes de tsunamis médiatiques. D’autre part, les protégés de Frédéric Thiriez tirent toute leur légitimité de leur hyper-médiatisation et il ne faudrait les montrer que quand ils marquent – ce qui a été fort rare en Afrique du Sud ?

Pour conclure en beauté, Thiriez traite ses contradicteurs de quasi-racistes. Si on en veut à l’argent des footeux, c’est par jalousie. On ne supporte pas que le sport de haut niveau, dernier refuge de l’ascenseur social, catapulte au sommet des jeunes des quartiers, souvent « blacks » et « beurs[2. Les guillemets sont de Thiriez et non de votre serviteur.] ». Les pauvres sont de très bons contribuables ne demandant pas le moindre régime dérogatoire – on l’a vu quand le milieu du football s’est bruyamment lamenté après l’annonce de la suppression du DIC (droit à l’image collective[3. Le droit à l’image collective (DIC) permettait aux clubs de reverser à certains joueurs une partie des retombées financières des ventes de maillots, droits télé, sponsoring, dans des conditions fiscales très avantageuses. Ce régime a été supprimé par l’Assemblée nationale en 2010.]) par Roselyne Bachelot, conformément aux préconisations de la Cour des comptes qui avait dénoncé l’inefficacité de cette coûteuse niche fiscale. Enfin, si on cessait de raconter aux enfants des quartiers populaires que le foot et le basket sont les seules voies de la réussite qui leur sont ouvertes, on ne s’en porterait pas plus mal.

Il y a vingt ans, nos footballeurs gagnaient moins et jouaient mieux. L’Union européenne n’avait pas encore dérégulé le sport professionnel en interdisant toute limitation du nombre de joueurs étrangers par club. La possibilité offerte aux joueurs d’aller jouer partout sans aucune restriction a généré une concurrence effrénée qui s’est traduite par l’explosion des salaires et des montants des transferts – mais aussi par les déficits croissants des clubs : 130 millions d’euros de déficit cumulé pour le football français, beaucoup plus en Espagne et en Angleterre où les clubs s’endettent pour verser des sommes pharaoniques à des joueurs. Jean-Luc Gréau, qui a expliqué dans ces colonnes que les banques et les groupes du BTP espagnols étaient intimement liés aux clubs de foot, annonçait une rapide explosion de la bulle footballistique.

Thiriez croit s’en tirer avec des âneries du genre : « Ce ne sont pas les footballeurs qui ne sont pas assez payés, ce sont les Français qui ne le sont pas assez. » Il ferait mieux d’anticiper la crise qui frappera inéluctablement le football professionnel à brève échéance. Au lieu de flatter l’instinct mercenaire des joueurs, il devrait leur tenir un langage de vérité et les préparer à des temps moins généreux en matière sonnante et trébuchante. Et plutôt qu’encourager les clubs à s’endetter, il devrait réclamer le retour à la régulation qui prévalait avant les funestes décisions européennes. L’amoureux du foot que je suis retrouvera peut-être des raisons d’admirer les joueurs quand il ne les soupçonnera plus de rêver à un autre club – et à un autre salaire ­– alors qu’ils viennent tout juste d’intégrer son équipe favorite.[/access]

Avril 2012 . N°46

Article extrait du Magazine Causeur



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