L’histoire de Sam ou l’avenir d’une émotion, un roman de Jean-Marc Parisis sur la déception amoureuse masculine
C’est sous le bleu du ciel, face à l’océan, loin de la France et de ses inlassables polémiques, que j’ai lu le nouveau roman de Jean-Marc Parisis. Depuis La mélancolie des fast-foods, paru en 1987, je ne rate aucun de ses livres. J’avais chroniqué son récit enlevé sur Alain Delon pour Causeur. Il soulignait la mort de l’héroïsme du Samouraï dans un pays qui se complait à vivre à plat ventre.
Une jolie Galloise en vacances en France
Son roman est ici plus tendre et plus nostalgique. Il évoque la première étape du phénomène de cristallisation décrit par Stendhal, l’admiration. C’est suffisant pour jeter le trouble en arrière-fond d’une existence. Sam, le narrateur, a 14 ans, quand il rencontre par hasard une jeune Galloise, Deirdre. Nous sommes en province, dans un village où la lumière est ascensionnelle, favorisant l’harmonie générale. La description est originale. Parisis a toujours été comme ça, original et touchant. Sam rencontre Deirdre. Quelques instants ensemble, guère plus. Il aura suffi d’un copain, Eric, qui lance un ballon au-dessus de la grille d’un parc pour que l’histoire commence. Deirdre bouquine. Elle parle français avec un fort accent anglais. Elle effectue un séjour linguistique, repart dans dix jours. Sam est subjugué par sa beauté. « Ses cheveux tombaient en lourdes mèches cuivrées sur ses épaules. Ses bras, ses jambes découvertes au-dessus du genou étaient d’un blanc unique, aveuglant. Un peintre se serait damné pour trouver ce blanc vivant. » Le diable aime les détails de ce genre. On pourrait croire qu’une passion va naître, durer dix jours, vingt ans, un siècle. Cette apparition ne va rester qu’une apparition. Sam rejoint ses grands-parents le lendemain, direction Brive, emporté par le Capitole. Pourtant, les deux adolescents sont émus. Sam, qui se nomme en réalité Pierre, mais c’est plus exotique Sam, vient de trouver avec cette beauté de 14 ans, son « pays ». Mais déjà il faut se quitter. Sam pleure. Une promesse, alors. Mieux, un serment. Deirdre : « Ne pleure plus jamais. Ce n’est pas mon dernier sourire. Écris-moi. Garde-moi. On se reverra. Promis ? »
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On va suivre Sam dans sa vie d’homme. Il n’y a pas encore de téléphones portables, pas de SMS. On guette le facteur, anxieux. Il existe des flippers, on roule vite sur les routes. Nous sommes dans la chanson de Michel Delpech, 62 nos quinze ans. Sam devient excellent en anglais. Il écrit à Deirdre. Réponse laconique, puis plus de réponse du tout. Le serment bat de l’aile. L’avenir d’une émotion est sombre. Sam n’est pas bon en français, les livres l’ennuient. « La réalité était plus sérieuse », écrit Parisis. Le narrateur recherche la belle de 14 ans dans ses futures conquêtes. C’est mal barré. Il croit l’oublier dans des draps froissés, des parfums capiteux, des peaux moites. Comment oublier celle qu’il décrit ainsi : « Je n’avais jamais vu un tel visage. Pas un visage, mais cent visages, une mutinerie de traits. » Cette fille est toutes les filles. Sam devient pilote de ligne. Il demande en mariage Gloria, une hôtesse de l’air. Elle refuse en ricanant. Dépression de Sam. Regard posé sur l’époque : « Il faisait jour partout, mais c’était un faux jour, il n’y avait plus de ciel. » Il sympathise avec un bouquiniste parisien. Le type qu’il décrit me fait penser à André Bernot, mort aujourd’hui. Il avait été musicien de Jacques Dutronc. C’était un célinien pur jus. C’est lui qui m’a procuré l’œuvre de Céline. Le bouquiniste conseille justement Voyage au bout de la nuit à Sam qui ne lit pas. C’est mal vu de citer Céline, il paraît. Et Gide, Morand, Voltaire, Richard Millet, Nabe … Liste non exhaustive.
Bonheur pastel
Sam revient dans son village natal pour l’anniversaire d’un ancien copain. C’est pathétique. Les visages ont beaucoup vieilli, les silhouettes se sont épaissies. « Il suffit de revoir certaines personnes pour comprendre pourquoi on ne les voyait plus. » Les lieux sont devenus laids. Tout devient laid avec les années. Il est temps pour Sam, 39 ans, de partir à la recherche de Deirdre, de retrouver « l’odeur et le goût de sa peau au moment où je l’avais serrée contre moi dans la clairière. Velouté, tiède, sucré, la peau du lait des petits matins courageux. »
C’est un beau livre que signe Parisis, un de plus. Délicat et fragile comme le bonheur pastel. Il ne fera pas le buzz de la rentrée littéraire de janvier 2020. On ne fait le buzz qu’avec de la boue. Ce roman est un coin de ciel bleu sur la terre.
Jean-Marc Parisis, L’histoire de Sam ou l’avenir d’une émotion. Flammarion.
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