Interrogé sur Sud Radio sur le cas de Mila, cette adolescente pourchassée et menacée pour des propos tenus sur la religion, le délégué du CFCM Abdallah Zekri tient un discours ambigu. “Qui sème le vent récolte la tempête” estime-t-il. L’analyse de Céline Pina.
En une seule intervention (voir notre vidéo ci-dessous), le délégué du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) Abdallah Zekri vient de se déconsidérer, de déconsidérer le CFCM et de faire un tort immense à l’ensemble de la communauté musulmane en tenant un discours que n’eût pas renié un islamiste au sujet de l’affaire Mila.
On ne peut qu’être horrifié de ce qui arrive à Mila
Mila, c’est cette adolescente qui, pour avoir dit crûment qu’elle détestait l’islam, est menacée de mort par des milliers d’usagers des réseaux sociaux qui expliquent doctement que critiquer l’islam c’est mériter la peine de mort, le viol ou la torture… Eh bien le CFCM ne leur donne pas tort : « Elle l’a cherché, elle assume ». Un discours qui rappelle tous ces hypocrites qui sur les cadavres de Charlie expliquaient que, quand même, ils avaient insulté le prophète et manqué de respect à l’islam, au lieu d’être horrifiés par le retour du crime politique sur notre sol.
A lire aussi: Mila: comme Asia Bibi, mais… en France !
Or cet homme, qui justifie la violence et l’appel au meurtre au nom de l’offense commise envers les musulmans, n’est pas censé être un islamiste, autrement dit un fasciste doublé d’un intégriste religieux, mais un représentant de l’islam traditionnel. Et là, nous nous retrouvons face à un énorme problème. Car que nous dit l’attitude de Abdallah Zekri ? Que la ligne séparant les islamistes des musulmans est en train de s’estomper, voire de disparaître ? Que les islamistes ont gagné la bataille en France ? Que l’islam traditionnel se radicalise ? Que les islamistes se sont emparés de tous les leviers de la représentation des musulmans ? Quelle que soit la réponse, la situation est grave.
Des propos scandaleux
Soyons clairs, la violence du discours contre la jeune Mila tenu par le délégué du CFCM était manifeste sur Sud Radio. En revanche le passage obligé disant que c’était excessif de tuer, lui, n’était là que pour éviter le scandale. C’est comme la ligne adressant un message de condoléance à toutes les victimes de terroristes qui figure dans chaque texte des islamistes. Elle n’est là que pour permettre le déroulé de la propagande victimaire qui suit immédiatement. Elle n’est que la caution permettant ensuite d’en appeler à la censure et à l’autocensure au nom du respect de la foi et à la mort de la liberté d’expression au nom de la susceptibilité des croyants. Si les menaces de mort n’émeuvent pas Abdallah Zekri, sa colère contre la blasphématrice, elle, n’est pas feinte. Son discours est proche de celui de Tariq Ramadan : lui aussi expédiait en deux mots la mort infligée par les fous d’Allah pour mieux se concentrer immédiatement sur l’offense faite aux musulmans par les assassinés.
A lire aussi: Elisabeth Lévy: Charlie, c’est fini?
C’est là que son intervention a porté le pire coup qu’il puisse être aux musulmans dans leur ensemble car il a exhibé une identité de vue sur le sujet de la religion et sur le thème du blasphème entre islamistes et musulmans qui détruit l’idée que l’islamisme serait une maladie de l’islam et semble plutôt apporter de l’eau au moulin de ceux pour qui il en est, au contraire, l’expression la plus authentique. Il accrédite ainsi l’idée que si l’islamisme est incompatible avec la démocratie et la République c’est parce que l’islam n’est pas compatible avec l’état de droit, la liberté d’expression et le choix civilisationnel de la loi avant la foi.
Abdallah Zekri, loin de la civilisation française
Autre fait marquant, l’immaturité et l’infantilisme de cet homme. Il est adulte et représente une institution. Tout homme conscient de ses responsabilités et expérimenté sait ce qui mérite son indignation et ce qui n’est pas signifiant. Un responsable digne de ce nom ne transforme pas en offense mortelle, les paroles d’une adolescente en colère. La seule chose à faire dans un tel cas était de ne cibler que ceux qui posent problème : ces milliers d’internautes se réclamant de l’islam pour tenir un discours de haine et d’appel au meurtre. Un homme digne n’eût rien dit sur Mila mais aurait rappelé à ses coreligionnaires qu’ils donnaient une vision particulièrement honteuse et lamentable de l’islam, qui ne peut que conforter son rejet grandissant dans la société et les doutes des citoyens français sur la capacité des musulmans à intégrer les règles de leur démocratie. Abdallah Zekri aurait du profiter du micro qui lui était tendu pour leur rappeler qu’en agissant ainsi, ils démontrent que les amalgames ont peut-être leur part de vérité, et que le rejet de l’islam s’explique aussi par ce qu’il donne à voir de lui-même sur notre sol. Il eût ainsi contribué à dégonfler une affaire anecdotique, qui ne risquait pas de faire grand mal à l’islam ni aux musulmans et qui n’en est devenue une que parce qu’une partie importante de croyants se croit le bras armé de leur foi et sont incapables de s’exprimer et de se comporter de façon civilisée.
A lire aussi, Céline Pina: Mila ou le retour du blasphème
À noter aussi, le fond indigent du discours comme la forme, particulièrement lamentable. Pourtant, l’accent n’est pas un problème quand la pensée est profonde, l’intelligence nuancée et le vocabulaire riche et adapté. Là, le délégué général du CFCM se distingue aussi par son absence de culture, un niveau sémantique faible et un niveau conceptuel au ras des pâquerettes. Incapable d’apaiser et d’expliquer, il est dans l’éructation et le désir de vengeance. Cet homme, censé être une des voix reconnues et institutionnelles de l’islam en France, n’est pas intellectuellement au niveau de sa fonction et des enjeux. Il ne parait pas appartenir à la même époque ni au même espace-temps que nous et fait entendre la voix d’une violence tribale et religieuse qui est un véritable pas vers l’ensauvagement de la société. Les lois sont différentes d’un pays à l’autre, mais une chose est commune quelles que soient les civilisations : l’existence d’interdits. Le premier et le plus répandu est l’interdit du meurtre, c’est le premier acte de passage de la bête humaine à la quête de l’être humain. C’est le premier effort civilisationnel, c’est à ce tabou-là que s’attaquent les islamistes et aujourd’hui certains que l’on voyait comme les représentants d’un islam plus traditionnel. Que les Français refusent cette évolution témoigne juste de leur maturité.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !