On connaît les produits ménagers à obsolescence intégrée, délibérément conçus pour être dépassés au bout de quelques mois, de sorte que le consommateur a fini par intégrer l’idée que l’ordinateur, l’appareil-photo ou le robot-mixeur multitâches qu’il venait d’acheter devrait être inexorablement envoyé à la décharge avant même qu’il ait fini d’en maîtriser toutes les fonctionnalités. Nicolas Sarkozy a inventé la promesse électorale à obsolescence intégrée immédiate, la promesse biodégradable avant même d’avoir été utilisée, totalement écologique quoique pas durable du tout et moyennement citoyenne. La promesse qui, dans son énoncé même, vous assure – évidemment en petits caractères, indéchiffrables par l’électeur pressé – qu’elle ne sera pas tenue, parce qu’elle ne peut pas l’être. La promesse « deux en un », qui contient l’excuse qui sera avancée pour ne pas la tenir. Ce qui, avouons-le, est plutôt rassurant.[access capability= »lire_inedits »]
Prenons, par exemple, ce qui fut un temps présenté comme la carte maîtresse de la campagne sarkozyenne, la botte secrète qui allait réduire à néant les critiques sur le thème « Pourquoi ferait-il demain ce qu’il n’a pas fait hier ? » : le recours au référendum (je sais, ça paraît loin déjà, mais le problème de la politique sarkozyenne, avec sa manie de dégainer une idée par jour, c’est qu’une botte secrète chasse l’autre avant même que la première ait eu le temps d’imprimer le cortex de l’électeur). Le 15 février, lors de sa déclaration de candidature sur TF1, Sarkozy nous annonce donc qu’il a trouvé le remède-miracle à l’immobilisme et à l’obstruction des élites et des « corps intermédiaires » qui auraient empêché la rupture annoncée en 2007 de devenir réalité : l’appel au peuple par voie référendaire. Le candidat-président précise qu’on y aura recours « chaque fois qu’il y aura blocage ». Mais dans le même temps, il se vante qu’il n’y ait pas eu un seul blocage durant son quinquennat : « Jamais il n’y a eu de blocage, de violence, de réforme retirée par la rue », se réjouit-il le 6 mars sur le plateau de Des paroles et des actes.
Et de fait, le gouvernement a-t-il dû reculer face à une opposition monstre, comme en 1995, quand la France fut paralysée durant des semaines par le rejet de la réforme des régimes spéciaux de retraite ? L’Université a-t-elle été paralysée, comme elle l’avait été en 1986 par la révolte contre la loi Devaquet visant à y introduire la sélection ? Certes non. Mais s’il n’y a pas eu de « réforme retirée par la rue », n’est-ce pas parce qu’il n’y avait pas de réforme à retirer – du moins pas de réforme suffisamment ambitieuse pour choquer, bousculer, secouer, ébranler les « avantages acquis » et autres « conservatismes de tout poil ? » Si « jamais il n’y a eu de blocage », n’est-ce pas parce qu’il n’y a pas eu de loi que l’opposition aurait pu combattre en la qualifiant de « scélérate » ? En réalité, les blocages n’ont pas manqué, mais en amont : à chaque fois, ils ont été fomentés par les « élites » de l’Élysée, qui ont édulcoré et raboté, élimé et émasculé tous les projets, de manière à n’accoucher que de réformettes indolores et de quarts de rupture peu susceptibles de choquer qui que ce soit…
Autre exemple de promesse faite pour ne pas être tenue : à Villepinte, Sarkozy menace de suspendre la participation de la France aux accords de Schengen si, dans les douze mois qui viennent, « aucun progrès sérieux » n’est enregistré dans la gestion des flux migratoires. Étant entendu qu’il sera le seul juge des progrès et de leur sérieux. S’il observe la politique migratoire européenne avec les mêmes lunettes que celle de son propre gouvernement, les accords de Schengen peuvent dormir sur leurs deux oreilles…
Il faut aussi évoquer les promesses de campagne 2007, ressorties telles quelles, mot pour mot, en 2012, sans une parole d’explication sur le fait qu’elles se soient évaporées pendant cinq ans : il en va ainsi de l’interdiction des « parachutes dorés », qui devait être votée « dès l’été 2007 » ; de l’idée de faire travailler davantage les profs en les payant plus ; ou encore de l’instillation d’une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin. Dans ce dernier cas, sont-ce les élites et les corps intermédiaires qui s’y sont opposés ? En tout cas, pas la commission Balladur installée par Nicolas Sarkozy pour réfléchir au toilettage des institutions : dans son rapport du 29 octobre 2007, elle préconisait justement l’introduction d’une dose de proportionnelle pour l’élection des députés. Enterrée sur décision personnelle du président Sarkozy, la réforme fait aujourd’hui partie des propositions du candidat Nicolas…
Autant dire que, s’ils s’y laissent prendre encore, les votants de 2007 pourront recycler intactes, comme d’autres leurs promesses, leurs jérémiades d’électeurs trompés. On frémit à l’idée de devoir supporter cela pendant cinq ans de plus. De quoi donner des envies d’exil, sinon fiscal, du moins auditif et électoral.[/access]
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