Salauds de jeunes ! On les flatte, on les plaint, on les caresse dans le sens du poil, on leur promet monts et merveilles, on se désole de leurs journées d’école trop longues, on s’inquiète pour leur retraite, on leur demande pardon de leur laisser un monde aussi horrible. Et tout ça pour quoi ? Pour qu’ils votent Le Pen ! Ces ingrats ne respectent rien.
Il faut dire qu’après avoir interrogé tous les candidats dans toutes les configurations sur tous les sujets, les journalistes commencent à tourner en rond – et les électeurs avec eux. Certes, les principaux candidats ayant tous adopté la méthode Sarkozy de 2007, leurs équipes fournissent gracieusement les vidéos de meeting montrant que les salles sont archicombles et l’ambiance fraternelle. Plus de bisbilles entre ministres, de regards édifiants ou de siestes improvisées volées par des caméras fureteuses : nos télévisions diffusent (gratuitement) des films publicitaires vantant les mérites des marques « Hollande », « Sarkozy », « Le Pen » ou autres. Mais même agrémentés de drapeaux tricolores et de Marseillaise s’élevant de milliers de poitrines, ces spectacles calibrés finissent par lasser.[access capability= »lire_inedits »]
Heureusement, grâce aux sondages, il se passe toujours quelque chose. « Numéro 2 remonte et… eh oui !! Il passe en première position, tandis qu’à quelques encablures derrière lui, 3,4 et 5 se disputent la troisième place, quel suspense !!! » Les sondages ne sont pas le reflet de l’événement, ils sont l’événement. Ainsi, le croisement des courbes d’intentions de vote respectives en faveur de François Hollande et de Nicolas Sarkozy a-t-il été salué par les confrères comme de début d’une nouvelle phase de la campagne. On comprend qu’en plein week-end de Pâques, l’enquête CSA créditant Marine Le Pen de 26 % des voix parmi les 18/24 ans ait suscité une certaine gourmandise – évidemment teintée de réprobation.
Il est vrai que ce n’est pas tous les jours qu’on peut les engueuler, ces jeunes, depuis qu’il a été décrété qu’ils étaient situés au sommet de la hiérarchie des victimes. Dans l’imaginaire des élites, il existe deux genres de jeunes : le « racaille » de banlieue, souvent (mais pas toujours) issu de l’immigration, et l’étudiant Erasmus, généralement de gauche et toujours anti-FN. Quand le premier fait des bêtises, c’est parce qu’il est victime de l’exclusion, quand le second paresse en fac, c’est, au choix, parce qu’il a dû prendre un petit boulot pour payer ses études, parce que de toute façon il sera chômeur ou encore parce que le règne de l’argent le dégoûte – sans compter que ses parents refusent de lui acheter le dernier iPhone alors que le sien a déjà six mois. D’accord, j’exagère un chouia : pour les enfants des classes moyennes et populaires, l’entrée dans la vie professionnelle, donc adulte, est un parcours du combattant jalonné de stages non payés et d’emplois précaires. Ils seraient de surcroît en droit de demander des comptes à leurs aînés qui ont renoncé à leur transmettre l’héritage exigeant que constituent la langue et la littérature françaises, échoué à leur prouver que l’effort pouvait être un réconfort, oublié de leur expliquer que l’humain, même jeune, n’était pas seulement un être nanti de « droits acquis » – par d’autres que lui.
En tout cas, ces jeunes lepénistes n’étaient pas prévus au programme. En réalité, cela fait des années que le FN réalise, chez les jeunes comme chez les ouvriers, des scores plus élevés que sa moyenne nationale. Concernant les ouvriers, on pouvait encore s’en sortir en expliquant que ces pauvres ne comprenaient rien aux joies de l’ouverture à l’autre – ce n’est pas de leur faute : ils sont pauvres. Mais de la part des jeunes, c’est une trahison. Dans Le Monde (qui a publié en « une » cette affolante information), la sociologue de service explique pourquoi, en quelques mois, Marine Le Pen est passée de 13 à 26 % des intentions de vote tandis que François Hollande chutait de 39 à 13 % : « Au début de sa campagne, M. Hollande a mis, comme jamais aucun candidat à la présidentielle avant lui, la jeunesse au cœur de son projet. Depuis, on l’entend moins sur ce thème, d’où le décrochage. » En somme, ils s’énervent parce qu’on ne parle pas assez d’eux. Voilà qui est rassurant : certes, ils votent mal, mais mettons ce péché sur le compte de leur jeunesse. Quand ils seront grands, ils seront des ayants droit comme les autres.[/access]
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