Pour une poignée de féministes de plus en plus bruyante, l’hétérosexualité est une perversion et le mâle un ennemi de la nature féminine. Cette rhétorique reprend en l’inversant le naturalisme des homophobes les plus bigots.
L’ignorance alliée à la conviction est dans tous les domaines un poison.
Dans un documentaire récemment diffusé sur Arte, intitulé Homothérapies : conversion forcée, on apprend que, selon les promoteurs des thérapies de conversion, les hommes deviennent homosexuels par manque de père et excès de mère, et les femmes parce qu’elles ont été sexuellement abusées. On assiste à un séminaire organisé par l’association chrétienne Torrents de vie où il est question de déjouer l’œuvre de Satan dans la sexualité. On écoute le père polonais Marek Dziewiecki expliquer que, d’après lui et la Bible, « un être humain mature, épanoui de façon harmonieuse, est une personne qui recherche le contact avec l’autre sexe ». Puis, on revient à Torrents de vie et à son séminaire où des homosexuels des deux sexes avouent en pleurs leurs péchés dans une psychothérapie sauvage, et on enchaîne avec une séance musclée d’exorcisme censé délivrer les égaré(e)s du Mal – au prix de grandes souffrances, le plus souvent en vain.
La romancière Virginie Despentes, dans un récent volet du podcast « Les Couilles sur la table », affirme que « toutes les femmes seraient lesbiennes sans injonction sociale à l’hétérosexualité »
Une dent contre les hommes
Le 23 novembre dernier, au cours de la manifestation organisée à Paris par le collectif #NousToutes, les manifestantes brandissaient une belle collection de pancartes : entre les « Men are trash », « Leur haine, nos mortes », « Les femmes ont du sang entre les cuisses, les hommes en ont sur les mains », on lisait aussi « Je suis hétéro, c’est le drame de ma vie » et « Délivrez-nous du mâle, soyez lesbiennes ». Ce n’est un secret pour personne, les féministes occidentales ont une dent contre les hommes hétérosexuels. Contre le « système patriarcal », disent les plus modérées, mais puisqu’elles attribuent cette structure sociale aux hommes qui en seraient tant les fondateurs que les bénéficiaires exclusifs (à l’exception des femmes « victimes de misogynie intériorisée » ou qui coucheraient par opportunisme avec l’occupant), la distinction relève de la langue de bois. Le mâle, c’est le mal pour une minorité d’idéologues de plus en plus bruyantes et visibles, qui parviennent à fédérer des sympathisantes autour d’un concept, celui de « sororité », bien difficile à incarner sans la désignation, l’essentialisation et la diabolisation d’un ennemi commun – L’Ennemi principal, comme le veut le titre d’un ouvrage de Christine Delphy. C’est à se demander quand seront proposées des thérapies pour guérir de l’hétérosexualité.
A lire aussi: Dora Moutot, la « féministe » survoltée du clito
Ces derniers temps, en effet, se multiplient les pastilles vidéo et les articles de presse où des icônes de la cause – aux États-Unis comme en France – s’interrogent sur la « compatibilité entre idéaux féministes et couple hétérosexuel », et où l’hétérosexualité est présentée comme le produit d’un conditionnement social. Un festival organisé en septembre 2019 à Paris a ainsi proposé de « sortir de l’hétérosexualité » réduite à une « fiction politique » : « On parle beaucoup de genre, mais moins de la production des morphologies, des hormones ou du génome, qui sont également conditionnés par des politiques de contrainte des mouvements ou de l’alimentation des femmes, qui produisent au fur et à mesure des années une binarisation des corps. Les corps ne sont pas une donnée, mais des archives du sexisme et du patriarcat. […] L’hétérosexualité n’a qu’à bien se tenir ! »
Féminisme et hétérosexualité, incompatibles?
La romancière Virginie Despentes, dans un récent volet du podcast « Les Couilles sur la table », affirme que « toutes les femmes seraient lesbiennes sans injonction sociale à l’hétérosexualité » (sauf quelques « rares grandes amoureuses comme Béatrice Dalle »). Odile Fillod, chercheuse indépendante qui s’est spécialisée dans la réfutation d’études relatives aux différences d’origine biologique entre hommes et femmes, dit quant à elle qu’« on peut parfaitement imaginer que si […] la plupart des hommes sont attirés exclusivement par des femmes et réciproquement, c’est entièrement sous l’effet de l’injonction culturelle massive à l’identification à un genre et à la sexualité hétérosexuelle à laquelle sont soumis les êtres humains dès leur naissance. »
Bref, nous sommes de plus en plus abreuvés de discours qui nient la nature de l’hétérosexualité, certains n’hésitant pas à en faire une pathologie ou une déviance acquises, dont il faudrait impérativement se débarrasser : exactement comme l’homosexualité est avisée par l’Église et ses satellites œuvrant à chasser Satan. Car la logique est la même en dépit du clivage politique entre des religieux conservateurs et des dogmatiques progressistes qui, dans tous les cas, ne veulent que le triomphe du Bien sur les forces du Mal. Quand des féministes en lutte « contre les violences faites aux femmes » proposent de délivrer celles-ci du mâle en devenant lesbiennes, elles usent du même argument que les promoteurs des thérapies de conversion qui voient chez les lesbiennes des victimes d’abus sexuels. Quand des féministes affirment que l’hétérosexualité n’a rien d’une orientation naturelle et qu’il faut s’en extraire pour s’épanouir, on croit entendre le père Marek Dziewiecki s’exprimer au sujet de l’homosexualité. Particulièrement inquiètes d’une diffusion des études de psychologie évolutionniste, qui risquerait de donner du grain à moudre aux conservateurs de tout bord via l’erreur naturaliste, ces féministes leur en fournissent néanmoins par brouettes en défendant d’arrache-pied des thèses hors-sol qui ignorent des décennies de recherche scientifique.
À lire aussi: « Faire des « sorcières » les icônes du féminisme est absurde »
Quand le féminisme va trop loin
Parallèlement à ces attaques, jusqu’ici principalement rhétoriques, contre l’hétérosexualité, on assiste au sein du mouvement féministe à une floraison d’idées et d’initiatives qui flirtent étroitement avec l’irrationnel via le regain de la sorcellerie, où les femmes se retrouvent associées à la nature comme sous la plume de philosophes phallocrates d’antan. Cet engouement, qui donne lieu à pléthore de publications et d’événements divers, est souvent relié en Occident francophone à l’ouvrage de Mona Chollet, dont la thèse téléologique (les chasses aux sorcières de la Renaissance sont des crimes de masse misogynes visant à exclure les femmes du travail salarié en vue de l’avènement du capitalisme) s’est vu réfutée illico par des travaux d’historiens. Qu’à cela ne tienne ! Même la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, confie sans fard dans les médias sa foi dans cette version chic et révisionniste d’un fléau social antédiluvien qui fait encore des mort(e)s aujourd’hui, notamment en Afrique. C’est d’ailleurs entourée d’artistes et d’intellectuelles que cette représentante du gouvernement a signé l’appel « Sorcières de tous les pays, unissons-nous ! » (où, reconnaissons-le, une petite place est faite aux femmes ostracisées, puis assassinées de nos jours par leurs proches et voisins, comme à la Renaissance, en vue de leur voler leur statut et/ou leurs biens).
Alors… à quand les séminaires de sorcellerie pour sortir de l’hétérosexualité ? À quand les stages écoféministes de « reconnexion profonde avec le vivant » où il sera psalmodié aux participantes que « ce n’est pas leur destin de faire leur vie avec des hommes et pour les hommes, et qu’il y a des marges de manœuvre à gagner : en devenant lesbienne et en construisant une vie commune avec d’autres femmes mais aussi en faisant collectivement la critique de l’hétérosexualité pour montrer que ça n’a rien d’une évidence » ? À quand, au nom de la lutte « contre les violences faites aux femmes », les séances d’exorcisme pour chasser du corps et de l’âme des hétérosexuel(le)s le diable « patriarcal » ? Et au prix de quelles souffrances pour les en délivrer – en vain ?