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Les nourritures intellectuelles de la Saint Sylvestre

Historique de l’accord du participe passé avec le verbe avoir


Les nourritures intellectuelles de la Saint Sylvestre
Image: Pixabey

Chez Yvonne Guégan, on ne passe pas son réveillon à parler de la retraite à points… Voyez plutôt.


Pour le repas traditionnel rassemblant « petits cons de la dernière averse et vieux cons des neiges d’antan », nous n’avons pas eu trop de mal à suivre les conseils de Boris Johnson à savoir « ne pas trop nous disputer ». En effet, la discussion s’est portée d’emblée (et durablement) sur un sujet juste assez clivant pour qu’il y ait de l’ambiance et pas assez pour que cela finisse mal : la réforme de l’orthographe.

Au fil de la conversation, j’en ai appris de belles sur l’accord du participe passé avec le verbe avoir. Cette histoire de « placé avant ou après le verbe ». Figurez-vous qu’il s’agit tout simplement d’une concession faite aux moines copistes. L’histoire ne dit pas combien de temps a duré la négociation, ni s’il y a eu manifestation, gilets ou banderoles, mais ces travailleurs préindustrie de labeur ont finalement obtenu satisfaction. Explication : ils écrivaient au fil de la plume et parfois sur dictée. Et, il fallait faire vite. Dans la phrase « les malades que Jésus a guéris », pas difficile de faire l’accord. Mais, si elle devient « Jésus a guéri, en imposant les mains, à Jérusalem, après trois jours de voyage, en présence de sa mère …. » sans que ne soit énoncé d’emblée s’il s’agit d’un ou de plusieurs malades, d’hommes ou de femmes, cela devient compliqué. Quand l’information arrive, le moine peut avoir tourné la page, il se peut qu’il n’y ait plus de place sur le parchemin et qu’il soit obligé de surcharger. Bref, ce retour en arrière demande du temps et crée des complications dans le travail. Et, le collectif des copistes a conquis (de dure lutte ?) ce que nous appliquons aujourd’hui et qui n’a donc… aucun sens significatif.

Nouveau: le roman sans mots

Bien chauffés, nous avons poursuivi sur notre lancée, tonique mais non belliqueuse, par une « belle discussion » sur Une histoire sans mots de l’artiste chinois Xu Ping. Récit de 128 pages, écrit uniquement avec des pictogrammes, des émoticônes, des logos, que selon l’auteur « un analphabète peut autant apprécier qu’un intellectuel ». Publié chez Grasset en 2013. 12 € version papier, 8 € version numérique. De larges extraits disponibles gratuitement.

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Une histoire sans mots, c’est 24h chrono dans la vie de monsieur Noir, sorte de Bouvard moderne avant sa rencontre avec Pécuchet. Lever un peu flemmard, consultation des réseaux sociaux (aux toilettes !), métro bondé, boulot routinier, conférences, bavardage, déjeuner, tension téléphonique avec ses parents qui veulent le caser… bref, une journée banale qui se termine par une « date » avec une jeune fille dégotée sur internet et l’esquisse d’une belle histoire d’amour. Des moments d’angoisse à la fois sur ses intestins et ses capacités de séduction, de longs moments de vacuité et de vague suspens. L’action se situe en ville au 21ème siècle mais nous pourrions être au 19ème siècle, à Ry. Pas un roman vraiment marrant mais beaucoup d’amusement pour nous, pour le décodage. Un peu compliqué au début, mais on prend vite le pli.

Les textes de Xu Ping mettent James Joyce K.O

Ce n’est pas du tout une suite de rébus ou d’énigmes dessinés, mais un récit fluide que chacun lit dans sa propre langue alors que pas un seul de ces pictogrammes n’est prononçable.

Fort intelligemment, chacun a pu y aller de son commentaire sur « l’universalité du langage », l’« écho du siècle », le « beau universel sans concept », « le défi radical dans notre conception de la langue, de l’écriture, de l’alphabétisation de la relation homme machine ». Nous étions loin de la retraite par points.

Pour ceux que cela intéresserait, Xu Ping est l’auteur de The Book from the Sky : 4 volumes, 604 pages, tiré en 126 copies, publiées entre 1987 et 1991. Ouvrage écrit dans le style des belles éditions des dynasties Song et Ming, mais composé de glyphes insignifiants, ressemblant aux caractères chinois mais dont aucun ne veut rien dire. Joyce et son Finnegans Wake battu à plate couture. Cette insolence de l’artiste chinois est considérée comme « un symbole primaire du vaste mouvement de libéralisation qui a caractérisé les années qui ont précédé le massacre de Tian’anmen ». La palette de Xu Ping est grande : un livre où il n’y a rien à comprendre puis un autre que tout le monde peut comprendre !

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Tout cela nous a menés doucettement à des commentaires évidemment très pertinents sur l’exposition : « Des émojis pour expliquer les hiéroglyphes » qui vient d’ouvrir au musée d’Israël à Jérusalem, qu’aucun de nous n’avait vue, ni ne verra sans doute jamais, hélas. Visible jusqu’au 12 octobre 2020, sur réservation uniquement, tarif adulte 54 Shekels. En tout cas, ça a l’air bien et surtout instructif. Et apaisé, comme notre discussion de fin de repas sur la force de l’image idéographique. Ce n’est pas pour rien qu’Apple a remplacé son émoji de revolver par un pistolet à eau. Et, comme menace, un dessin de revolver, c’est autre chose que le mot arme.

Quelle chance nous avons aujourd’hui de pouvoir utiliser « en même temps », les deux écritures et placer en fin de phrase un :)) qui tempère notre propos ou nous dédouane. Juste, comme le « je rigole » de Walter.

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