L’union nationale, combien de divisions ? Voilà une question à double sens (cherchez bien) que le camarade Mélenchon pourrait poser à l’abbé Bayrou. Ingrat sacerdoce que celui qui consiste à rassembler par-delà les clivages partisans. L’union nationale, dans sa traduction gouvernementale, ne fait pas bander le peuple. C’est ce qu’on dit. C’est ce qu’on croit. Une idée de droite, qui évoque dangereusement le cabinet Doumergue de 1934, formé au lendemain des émeutes sanglantes du 6 février, dans un climat de crise économique sans précédent, déjà, et de bombes puantes qui ont pour nom les « affaires ». La cause est entendue. Perdue ?
Imaginons-le pourtant, le rassemblement de contraires – ou de demi-contraires, n’allons pas trop loin – que pourrait être le prochain gouvernement. Les dernières semaines de la campagne présidentielle ont certes été marquées par le retour de la sainte bipolarisation marchant vers les urnes au son du canon, soit, à l’oreille, l’exact inverse d’une musique tempérée annonçant des lendemains symphoniques. Tant mieux ! Le défi n’en est que plus excitant.[access capability= »lire_inedits »] Pour la forme, revisitons Mai-68 et son slogan Club Med « Sous les pavés, la plage… », et remplaçons-le par cet autre, de pareille béatitude mais moins glandeur : « Dans la cacophonie, l’harmonie ». Car on entend ci et là des notes concordantes.
Le 15 décembre – ce n’est pas si loin, décembre –, dans une enquête CSA, 55 % des personnes interrogées se déclaraient « favorables à un gouvernement regroupant des personnalités de différentes sensibilités politiques ». Souvent peuple varie et, depuis, il préfère peut-être un gouvernement reposant sur une bonne majorité de derrière les fagots républicains à un ensemble hétéroclite. En réalité, on n’en sait rien. Qu’importe, fions-nous à notre nez, ou, mieux, au nez gascon de François Bayrou. L’indice nasal du Béarnais s’est beaucoup allongé à une époque avant de se ratatiner.
Qu’est-ce que cela dit – pour parler comme le président du MoDem (quel tue-l’amour que ce nom !) ? Au mois de décembre – en fait, c’est très loin, décembre –, la cote de popularité du candidat centriste était en nette ascension. Son discours de « vérité » sur la dette publique de la France semblait alors bien accueilli. Le paysan-normalien incarnait le bon sens, notion vague mais rassurante, la promesse d’union face à la terrible adversité. Il disputait la place de « troisième homme » à Marine Le Pen. Il grimpait, il grimperait encore. Patatras ! Chute dans l’escalier sondagier. Le voici rétrogradé au cinquième rang, crédité, à la date du 5 avril, de 10 % seulement des intentions de vote, derrière el fenómeno Mélenchon et la frontiste.
Que s’est-il passé ? Tentons une explication. La « lucidité », le truc en plus de François Bayrou, est devenue un truc en moins. Sa clairvoyance érigée en raison de salut public a ajouté de l’anxiété à l’anxiété, elle a injecté du réel programmé (et pas très affriolant) dans le réel vécu (déjà pas très fun). Le peuple a-t-il jamais élu Cassandre ? Là-dessus, les tueries de Toulouse et de Montauban n’ont dégrisé personne. Trop d’émotion pousse à boire.
Dans ces conditions, la vision d’un gouvernement d’union nationale que porte en lui le Béarnais, sinon par conviction, au minimum par nécessité – compte tenu de la faiblesse de ses troupes –, évoque les souffrances présentes et à venir quand c’est du blé plein les champs qu’on demande. Et puis, François Bayrou aime-t-il le peuple autant qu’il s’aime lui-même ?
Au final, si l’union nationale voyait le jour, ce serait par défaut, sans véritable adhésion stricte au principe – sous la forme d’une maxi-ouverture. Quel que soit le vainqueur le 6 mai, rien ne prouve qu’il aura une majorité en juin. Coabitazione subito ! diront peut-être les Français, lassés du spectacle affligeant d’une Assemblée nationale godillotte. On expérimenterait alors une cohabitation non pas frontale, comme ce fut le cas à trois reprises, avec plus ou moins de castagne (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002), mais une cohabitation « positive », se reflétant dans la composition du gouvernement, a fortiori si son chef se nommait François Bayrou, qu’un sens du devoir et un goût soudain pour le poste auraient sorti de son orgueilleuse et très peu chrétienne bouderie.
D’accord, sur le papier, on n’en prend pas le chemin, mais qui sait ? Imaginons que, par l’entremise de Bernadette, celle de la grotte miraculeuse, le Pyrénéen récolte 15 % des suffrages le 22 avril, et devienne définitivement « incontournable », faisant pâlir l’étoile mélenchonienne, laquelle des deux belles François Hollande inviterait-il au bal du pouvoir ? Pour Nicolas Sarkozy, qui en est déjà aux préliminaires avec le candidat du MoDem, la question est réglée.
Ce marivaudage ne nous détournera pas de notre conviction, peut-être naïve, qui est que la France a besoin d’union nationale, l’Élysée gardant ses prérogatives, Matignon œuvrant de ses petits poings résolus au bien-être de Pierre, Paul et Rachid, Silvia et Bérénice. Payer ses dettes, c’est bien ; agir pour que la Maison France, ses écoles, ses banlieues, ses pavillons ne s’écroulent pas, c’est vital. Après tant d’épreuves et devant tant d’autres, il tarde au petit village d’Armorique d’arriver à la page 48[1. Les lecteurs et anciens lecteurs d’Astérix savent que les aventures du guerrier gaulois ont 48 pages et qu’elles se terminent autour d’une bonne bouffe.], au banquet des amis. Si ça, ça fout pas la gaule…[/access]
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