Des centaines de films à son actif, Hervé-Pierre Gustave se confie à Causeur.fr. Son parcours, le porno 2.0, le féminisme… Personnage fantasque et charismatique, sa gueule de méchant hollywoodien cache une entité plus complexe, entre extravagance et hypersensibilité. Après une autobiographie chez Hachette et la réalisation de longs-métrages « traditionnels » (avec la participation d’Eric Cantona ou encore Christophe), il nous parle de ses nouveaux projets.
Jean-Pascal Caravano. Le jour où l’on s’est rencontré, tu m’as fait part de ta timidité, notamment vis-à-vis des femmes. Comment expliques-tu la dichotomie entre ce tempérament, et la mise à nu qui t’a construit ?
HPG. Être timide est pour moi plutôt une qualité. Vu que je m’aime bien, j’essaie de faire de mes faiblesses des forces ; je fais avec le matériel que j’ai. Les gens timides me plaisent parce qu’ils essaient plus d’agir, plutôt que de fanfaronner. Je suis les deux à la fois.
On fait un métier où on nous trouve très sympas tant qu’on a pas bossé avec un membre de votre famille
Un bon acteur porno, c’est généralement quelqu’un qui n’a pas de succès dans sa vie privée. Il faut avoir raté ses études, avoir de bonnes qualités érectiles, pas forcément de grandes qualités intellectuelles puisque c’est pas ce qu’on nous demande. Mais en tout cas, être timide auprès des femmes est un grand atout si tu veux être acteur porno, parce que si tu es heureux dans ta vie sexuelle et privée, tu n’as pas besoin de venir t’exhiber sur un plateau.
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Le milieu du X a subi une mutation, avec l’hégémonie des « tubes », et la prolifération de contenus gratuits. 70% des sociétés de production auraient fermé. Comment Internet a-t-il bousculé tes méthodes de travail ?
Le sexe gratuit a bouleversé la donne, comme en musique ou dans le cinéma. D’ailleurs, j’ai l’impression que le théâtre résiste bien car il ne peut pas être piraté, puisque c’est le direct par essence qui en fait la force. Maintenant en France on n’est plus que cinq ou six boîtes, parce qu’on a un accès direct en VOD, et que la VOD continue à marcher, contrairement à d’autres pays. On a un public d’une cinquantaine d’années qui continue à acheter nos produits.
As-tu le sentiment que la société t’impose des codes ?
On ne fait que s’auto-censurer. On travaille pour de grosses plates-formes qui ne veulent pas de problèmes. Je les comprends. Tout ce qui est soumission, domination, insultes, comportements soi-disant déviants – tout ce qui marche dans le sexe, toute l’exubérance et la folie – doit être annihilé pour faire des produits plats et conformistes. Internet cartonne parce que les autres acteurs n’y ont pas de limite. Nous, en VOD, à tort ou à raison, on en a. Les vraies limites qu’il devrait y avoir, c’est l’accessibilité aux personnes âgées de moins de 18 ans.
Les adultes consentants ont des pratiques plus fun qu’être debout et prendre sa femme contre un mur. Donc les films se vendent encore moins bien, et la gratuité d’internet, qui est le vrai scandale pour le job, se développe. La censure, j’essaie de la contourner. C’est comme les artistes qui peignaient la famille royale : il faut que tu trouves des subterfuges pour faire passer ton message, tout en faisant plaisir aux commanditaires. Il est vrai aussi qu’une bonne scène mixte n’a pas besoin d’extravagance. Un homme et une femme qui font bien l’amour, ça restera toujours bien plus excitant qu’une nana qui simule pour de l’argent.
Moi, j’aime les marginaux et les timbrés, donc dans mon métier je suis servi
Que je fasse un film porno ou un film « tradi », je le prends à peu près pareil. J’ai fait des films innommables, Branlette sous les bambous, L’arbre à boules, … J’ai quand même commis les plus gros navets de la planète ! C’est tellement ridicule que ça en devient presque culte. Je ne sais pas si c’est masturbatoire, mais au moins on rigole.
Dans le porno, on vote à droite ou à gauche ?
Personnellement, je n’ai jamais voté, mais je ne suis vraiment pas un citoyen de référence. Comme on est tous un peu décalés dans le porno, je ne suis pas sûr qu’on sache de quoi on parle quand on parle politique. Peut-être que je vois les autres comme je me vois moi, mais on peut pas dire qu’on ait une grande culture politique, et je crois qu’on vote et qu’on retourne notre veste si elle est doublée de vison. On est des mecs de gauche devenus petits patrons de droite. Comme beaucoup de gens.
Et la réforme des retraites on en pense quoi ?
Moi je travaille depuis que j’ai 18 ans. On fait du porno pour s’extraire d’un certain conformisme, donc on est tous un peu des originaux, voire des marginaux. Les retraites, ce n’est pas notre grand souci. Celui qui veut avoir sa retraite, faut surtout pas qu’il fasse du porno, parce que c’est pas un métier d’avenir.
Il y a 18 ans, les Chiennes de garde s’en étaient prises à Canal Plus, à qui elles reprochaient d’avoir diffusé un documentaire qui t’était consacré (avec en réaction un article dans L’Express « Quand le porno viole les femmes »). Comment avais-tu vécu ces attaques ?
Très bien parce que ça m’avait fait de la publicité. Je n’étais pas armé intellectuellement comme je le suis maintenant et je n’avais pas le recul face aux médias, donc je l’avais pris un peu trop à cœur. Mais leur attaque était disproportionnée. Une telle attaque maintenant ne me ferait plus rien du tout.
On est des mecs de gauche devenus petits patrons de droite.
Tu leur avais répondu avec une vidéo « Chiennes, prenez garde ». Quel était le contenu ?
Oui c’était marrant, j’avais fait un court-métrage, sorte de provocation assez maladroite (rires). Cette réponse filmée n’a pas dû leur faire très plaisir, mais les conforter dans l’idée que j’étais quelqu’un de nuisible dans leur combat ; or je ne le pense que pas du tout. Je respecte le fond (de leur discours), et les femmes bien entendu. Mais on ne s’est pas compris, et je crois qu’on ne se comprendra pas.
Le néo-féminisme (#MeToo, Balancetonporc) affecte-t-il ton travail ?
Moi pas du tout. Elles font ce qu’elles ont à faire, c’est très bien. Je me comporte comme je me comportais il y a vingt ans, toujours de la même manière. Moi je fais ce métier, mais je ne voudrais pas que ma fille ou mon fils fasse le même boulot. Je me suis assis sur une part de mon humanité. On fait un métier où on nous trouve très sympas tant qu’on n’a pas bossé avec un membre de votre famille. Donc ce boulot a quand même une charge négative. On ne peut pas le faire à mon niveau sans assumer cette charge négative, et s’asseoir sur une partie de son humanité. Une fois qu’on a dit ça, on essaie de bien se comporter. Donc il y a des contradictions, mais il faut les supporter et les gérer au mieux, si on veut continuer à travailler dans ce métier.
Comment expliques-tu que les actrices soient mieux payées que leurs partenaires masculins ?
C’est mérité car ce sont elles qui font vendre le film. Alors c’est comme au football, sauf que là c’est pas les mecs qu’on veut voir, mais la gente féminine. Tant mieux pour elles. Surtout que « mieux payées », quand tu parles à un producteur comme moi, c’est pas le cas; le mieux payé au final, c’est moi.
As-tu plus de mal à recruter ?
J’ai beaucoup de mal à recruter, autant les femmes que les hommes. Les femmes ont de moins en moins envie, à raison, de faire ce métier, parce qu’elles demandent un salaire qu’on ne peut pas leur payer, étant donné que le X a chuté. Il y a des grilles salariales qu’on ne peut pas dépasser. Elles sont tombées sur pas mal d’escrocs dans ce métier, il y a même des sites qui se font passer pour moi (ma société est HPG Production) pour abuser d’elles.
Les hommes ne font pas vendre, ils sont vraiment trop cons. Ils ne bandent pas, sauf s’ils se piquent dans le sexe. Ou alors ils essaient une fois, puis ils n’y arrivent plus. J’ai vu que des cas sociaux. Mais étant moi-même un cas social, j’adore mon métier puisqu’il en est rempli. Et dans les cas sociaux, il y a en général beaucoup d’humanité – en comparaison à un petit mec bien rangé, qui a bien analysé tout et qui ne prend aucun risque dans sa vie pour ne pas faire de vagues. Moi, j’aime les marginaux et les timbrés, donc dans mon métier je suis servi.
À l’heure de la réalité augmentée, tu vas lancer tes « live X», qui permettront aux internautes de découvrir en direct les coulisses de tes tournages ?
Avant il y avait un côté franco-français qui marchait bien. Maintenant il faut encore plus penser à l’international, donc faire des produits français et également anglophones, soit en les doublant, soit en parlant les deux langues sur les tournages (on se permet tout sur les films X !). Ce qui compte maintenant, c’est de créer un univers tellement particulier qu’on ne peut pas te pirater. Proposer quelque chose de très personnel qui puisse vendre à l’international, c’est ce vers quoi je me dirige, pour au final être racheté par un grand groupe américain, mais qui lui va t’assurer une notoriété mondiale et te ramener de l’argent. Lutter tout seul contre les « tubes », c’est pas possible.
Le live ça marche bien. C’est ce que font les actrices en développant leurs propres lives, elles s’émancipent de réalisateurs, de producteurs (et elles ont vraiment raison, je les incite à le faire !), pour créer leur propre univers et être maître de leur corps, de leur sexualité, de leur pouvoir d’achat, et de leur portefeuilles. C’est ça la tendance. Donc moi aussi je vais me rendre maître de mon corps, de mon pouvoir d’achat et de mon portefeuille, et je vais faire des lives où on verra HPG dans ses grandes œuvres, avec sa faconde et son style.
Tu aimes étendre le courant pornographique au-delà de l’industrie originelle. Quels sont tes autres projets ?
J’ai nouveau un film « traditionnel » en montage, et en prépare un autre où il n’y a pas du tout de scènes de sexe, qui parle de la relation avec son père ; tragi-comique comme à mon habitude.
Ta comédie musicale X est toujours en phase d’élaboration ?
Elle a été tournée. Ce sera une comédie sans paroles, avec de la musique tout du long. Ça sortira vers 2022, on est encore en cours de montage.
Comment vois-tu l’avenir du X ?
On a toujours besoin de pain et de sexe. L’avenir du X se fera peut-être sans moi. Je suis content pour toutes les actrices qui arrivent à se débrouiller en faisant leur propre site et en s’émancipant de mecs comme moi – de boîtes de prod. Moi il faut que je fasse pareil, ce sont des changements à opérer, comme dans le cinéma. Je dois m’intégrer aux nouveaux rapports qui s’établissent entre la chose montrée, et qui va la regarder. J’ai 53 ans, je suis supposé prendre ma retraite dans 10 ans. Un, je ne la prendrai pas. Deux, j’aime trop mon boulot pour le faire. Vu que je suis timide, comment je vais coucher avec de si jolies nanas, mais sans mon métier ? Impossible. Et pourquoi coucher gratuitement alors que je peux le faire en étant payé ?
Faire du porno reste un espace de liberté ?
Quand je suis nu, en train de transpirer sur une banquette à en oublier le scénario, c’est manifestement un espace de liberté pour moi – et un beau terrain de jeu.
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