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L’Art contemporain se mange par les deux bouts…

A Miami, les agents commerciaux de l'art contemporain ont la banane


L’Art contemporain se mange par les deux bouts…
© Cindy Ord/Getty Images/AFP

« Je ne réponds pas d’avoir du goût, mais j’ai le dégoût très sûr. » Jules Renard


L’art devenu marché, la culture devenue tout-culturel, il est bien normal que des malfaiteurs, encore appelés agents culturels, et parfois même artistes, profitent de la candeur des uns et de l’envie de faire les malins des autres. Surtout si les autres en question s’ennuient et sont richissimes.

Grâce à Beyoncé, enfin des « trucs intéressants » au Louvre

Il y a quelques mois, le musée du Louvre proposait à ses visiteurs un « Parcours Jay-Z et Beyoncé », du nom d’un couple de musiciens rappeux qui avait réalisé un clip dans les galeries du musée. À cette occasion, sans rire, Anne-Laure Béatrix, la directrice des relations extérieures du Louvre, disait : « On essaie de trouver des partenariats qui ont du sens » (Le Monde du 23 juillet 2018) ; tandis que Pierre-Adrien Poulouin, médiateur, surenchérissait : « Le Louvre devient une marque cool, où il peut se passer des trucs intéressants. » 

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Jean Clair dénonçait déjà les « abattoirs culturels » (L’hiver de la culture, Flammarion) qui enterrent définitivement les artistes morts, et les musées d’Art contemporain et autres FRAC qui ignorent les véritables artistes et promeuvent les agents commerciaux de quelques galeries. Il pressentait déjà qu’on achèverait d’abattre l’art dans ce qui fut un haut lieu de la culture et qui est devenu « une marque cool ». 

120 000 dollars pour… une banane

Dans le genre « truc intéressant » et « cool », nous avons appris hier qu’une banane scotchée par un artiste-agent-commercial sur un mur de la Foire d’Art Basel de Miami avait été décrochée et mangée pour la somme de cent vingt mille dollars. Qu’une autre avait immédiatement pris sa place. Et avait immédiatement été arrachée et mangée pour le même prix. Qu’une nouvelle avait été scotchée. Puis arrachée et mangée. Qu’une autre encore avait remplacé la précédente. On ne comptera bientôt plus le nombre de bananes à cent vingt mille dollars arrachées puis mangées. Le public se lassera, c’est évident. Le public se lasse de tout, à un moment ou à un autre. L’agent-culturel-artiste, toujours audacieux, osant tout, génial, remplacera un jour la banane par… une fraise. À cent cinquante mille dollars. Ça s’arrachera. Viendra le tour des abricots (cent quatre vingts mille dollars), puis des pommes (deux cent mille dollars), puis des cerises (deux cent cinquante mille dollars). 

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Mais le riche public se lassera des fruits, le riche public se lasse de tout à un moment ou à un autre. Le riche public s’était déjà lassé des animaux coupés en deux et baignant dans du formol de Damien Hirst. Il est vrai qu’il ne lui était pas possible alors de manger un morceau de ces œuvres.

Les responsabilités de l’artiste

Adviendra donc le temps d’arracher et de manger le morceau de scotch qui tenait la banane (trois cent mille dollars) ; ou de boire le formol dans lequel trempaient les œuvres de Hirst (cinq cent mille dollars le litre) ; et d’expliquer, dans cette langue étrange que l’on retrouve sur tous les prospectus des expositions de toutes les FRAC de France et de Navarre, « ce geste subversif qui interroge le statut des fruits, du scotch et du formol, et l’interchangeabilité de ces derniers dans une médiation artistique qui n’ignore rien des responsabilités de l’artiste dans l’instauration d’une œuvre qui bouleverse les normes. »

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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