Des minorités agissantes censurent des œuvres d’art au nom de leur moralité blessée. Si ce rappel à l’ordre a de quoi inquiéter, la responsabilité en incombe aussi aux nombreux artistes qui prétendent édifier les masses par leurs postures moralisatrices.
Couvrez ce sein que je ne saurais voir
Des peintures anciennes sommeillant dans des musées sont brusquement ramenées sur le devant de l’actualité au nom d’une relecture militante. Cette censure à l’œuvre dans des pays démocratiques n’émane pas du pouvoir, comme c’était le cas autrefois, mais des nouvelles minorités agissantes. D’ailleurs, leurs attaques contre l’art ne sont que l’une des menaces pesant sur la liberté d’expression. Ici, on exige le retrait d’une peinture de Waterhouse procurant, paraît-il, aux visiteurs masculins l’occasion regrettable d’apercevoir de jolies poitrines. Là, sur le sexe d’une femme dessiné par Egon Schiele, on demande un bandeau pudique. Balthus, avec son amour des petites filles, est désormais un cas indéfendable. Évidemment, l’abstraction est à l’abri de toute objection, et c’est peut-être justement la preuve de sa faiblesse. Un point de satisfaction cependant : nos prix de vertu n’ont pas encore découvert Rubens ou Boucher.
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S’y ajoutent, à l’autre extrémité de l’éventail politique, des passages à l’acte par des profils plus traditionalistes. Par exemple, en 2009, Ernest Pignon-Ernest avait collé sur la façade de la cathédrale de Montauban, avec le consentement de l’évêque, de grands et magnifiques dessins d’« anges ». Dans leur partie haute, ces anges ont assez classiquement des ailes et sont vêtus de drapés. La partie basse, par contre, est dénudée. On voit qu’il s’agit de femmes bien terrestres. Elles écartent leurs cuisses et montrent leur sexe. Malheureusement, les sexes en question sont vandalisés peu après. La photo d’un crucifix immergé dans l’urine (Piss Christ d’Andres Serrano présenté à Avignon en 2011), le plug anal gonflable érigé place Vendôme à Paris en 2014 (Tree, de Paul McCarthy) et beaucoup d’autres œuvres subissent le même sort. Parfois, les services chargés de la promotion de l’artiste en profitent pour relancer leur campagne de communication.
Quoi qu’on pense des créations en question, on ne peut accepter que des justiciers improvisés passent à l’acte ou exigent la censure. De nombreuses personnalités et associations ont manifesté leur attachement à la liberté artistique. En outre, la loi du 7 juillet 2016 consacre cette liberté et renforce sa protection. C’est à l’évidence une condition indispensable de la création.

