L’éditorial d’Élisabeth Lévy
Il est surprenant que personne n’ait encore songé à créer un musée ou un parc d’attraction dédié à l’humour, ou à inscrire ce dernier dans les programmes scolaires. Quand l’espèce se met en tête de détruire un élément fondamental de l’existence humaine, elle opère plus volontiers par l’embaumement et l’encensement que par l’attaque frontale. Comme la sexualité, l’humour est partout. Il est l’objet d’une adoration consensuelle – qui admettrait qu’il déteste l’un ou l’autre ? Et comme la sexualité, à mesure qu’il est domestiqué, enrôlé, objectivé, il se transforme en autre chose que ce qu’il était. Cette marchandise frelatée qui se déverse dans tous les tuyaux médiatiques suscite du rire et plus encore du ricanement. Elle n’a plus rien à voir avec l’humour qui est, selon Octavio Paz, « la grande invention de l’esprit moderne » – donc une voie singulière de la pensée. La preuve de l’humour, ce n’est pas qu’il fait rire mais qu’en faisant rire, il dévoile.
L’humour, une merveilleuse disposition de l’esprit humain en voie d’extinction
On peut se raconter que la sexualité, aussi vieille que l’humanité, survivra à toutes les entreprises visant à l’éliminer. En revanche, comme le souligne Milan Kundera à la suite de Paz, dans Les Testaments trahis, « l’humour n’est pas une pratique immémoriale de l’homme ; c’est une invention liée à la naissance du roman ». En conséquence, cette merveilleuse disposition de l’esprit humain peut disparaître.
