Avec Le jeune homme à la mule, Michel Orcel publie un roman stendhalien dans la Provence de 1790.
C’est un roman enchanteur, dont la magie fait son effet de la première à la dernière page, que nous offre Michel Orcel avec Le jeune homme à la mule. Né en 1952 dans une antique famille provençale, Michel Orcel est philosophe, islamologue et romaniste de formation. Critique littéraire et musical, il est aussi traducteur de Leopardi, Dante, Michel-Ange et D’Annunzio, entre autres. Un humaniste au sens classique du terme, également éditeur (L’Alphée) et surtout poète jusqu’au bout des ongles tant sa sensibilité transparaît dans ce magnifique roman picaresque et stendhalien, qui se lit d’une traite et avec jubilation.
Sur les routes de Provence
Tout le roman baigne dans une lumière ocre et se révèle parfumé de thym, d’orange et de bergamote – un délice. L’intrigue ? L’éducation sentimentale et politique du jeune Jouan Dauthier, patricien provençal, que nous suivons dans ses aventures sur les routes du comté de Nice encore sarde jusqu’à Gênes et à Milan. 1790 : la Révolution étend son ombre menaçante sur une Provence encore intacte. Un chanoine aux allures de maître espion recrute Jouan dans la conjuration qu’il mène au service de Rome, bien inquiète des progrès des Idées nouvelles, et surtout de la guillotine. Notre jeune espion s’éprend de la divine Giuditta, une cantatrice vénitienne au joli tempérament… tout en restant amoureux de Nanette, la fille du médecin de Sigale, son village. Orcel cite Sénèque et L’Arioste, se moque avec esprit du narrateur dont il souligne d’imaginaires défauts et s’amuse à nous promener sur les routes de sa Provence.
Une tragédie voluptueuse
La grâce du style, limpide, les jeux linguistiques, la ponctuation soignée avec art, tout concourt à rendre ce Jeune Homme à la mule délicieux. La liberté de ton du romancier, peu séduit par les blandices révolutionnaires ajoute à l’intérêt du livre, par exemple quand il fait dire à l’un de ses attachants personnages : « Le moindre maire se prend pour Caton ou Brutus et s’imagine sauver le peuple du despotisme des tyrans ; en vérité, on guillotine n’importe qui pour n’importe quoi. » Ou, justement sur le peuple, cette idole nouvelle (en 1790) : « le peuple n’est qu’une entité commode que ces canailles ont inventée pour servir leurs desseins. » Ou enfin : « Tout le monde n’était pas dupe de cette frénésie de liberté, et certains, qui seraient passés pour des imbéciles aux yeux des avocats et autres petits clercs qui détruisaient allègrement l’ordre ancien en comptant bien prendre la place de la noblesse, se doutaient que le pire était peut-être à venir ». Orcel parvient avec brio à mettre en scène une tragédie dont il atténue la cruauté par le truchement d’une légèreté sans rien de creux.
Michel Orcel, Le Jeune Homme à la mule, Pierre-Guillaume de Roux, 2019.
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