Accueil Culture « Sympathie pour le diable »: un reporter à Sarajevo en 1992

« Sympathie pour le diable »: un reporter à Sarajevo en 1992

Descente aux enfers


« Sympathie pour le diable »: un reporter à Sarajevo en 1992
(c) Shayne Laverdière / Monkey Pack Films

Sympathie pour le diable, de Guillaume de Fontenay
Sortie le 27 novembre. Avec Niels Schneider.


Que craindre d’un premier film qui serait le biopic d’un héros de guerre ? Tout ! Sympathie pour le diable marque l’entrée en cinéma d’un réalisateur nommé Guillaume de Fontenay qui évite tous les pièges de ce qui aurait pu être un barbant exercice de style et d’admiration. La barque originelle était pourtant passablement chargée, notamment par le recours à une histoire vraie. Une certaine tendance actuelle du cinéma français et d’ailleurs, qui place en effet ses productions sous l’abri tutélaire de la prétendue réalité des choses et embarque ses spectateurs dans des récits soi-disant documentés et au final vraiment désincarnés. On tente de faire passer la pastille du manque d’inspiration à travers ce prétendu réalisme sociologique. Mais la majorité de ces productions artificielles se fracassent précisément sur le mur du vraisemblable : le mentir-vrai du cinéma ne peut en aucun cas se confondre avec la « vraie vie ».

Or, Fontenay le novice évite tous les écueils dans cette adaptation des récits de guerre du correspondant de presse risque-tout Paul Marchand, issus notamment de son expérience à Sarajevo en 1992. Tout est donc bien réel, mais le cinéaste adopte un véritable point de vue avec une économie de moyens absolument admirable. À l’esbroufe facile du film de guerre et des récits horrifiques, il substitue une image granuleuse sortie d’on ne sait où, qui procure au spectateur un effet d’étouffement permanent. Sans voyeurisme aucun, il ne nous épargne rien d’une guerre tout à la fois de rues et de positions, ethnique et politique.

Marchand n’est assurément pas un analyste géopolitique. Il est le pur produit d’une école du « témoignage » journalistique, prêt à prendre tous les risques physiques – lui-même sera d’ailleurs blessé au bras avec des séquelles à vie. Son destin ressemble étrangement à celui d’un autre reporter de guerre français qui travailla lui dans les années 1950 et 1960 : Jean Marvier, sulfureuse et fascinante figure mêlée à l’affaire Ben Barka, mais surtout baroudeur casse-cou, blessé lui aussi et partageant avec Paul Marchand le goût des cigares cubains, du jeu d’argent et autres pratiques d’hommes pressés qui traversent leur vie en décidant eux-mêmes du jour où elle doit s’arrêter.

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C’est ce que raconte Sympathie pour le diable, qui ne dissimule rien des aspects rugueux et antipathiques d’un professionnel bien décidé à être le premier, le meilleur, le plus exposé donc. Et qui a supprimé de son vocabulaire la déontologie que trimballent en bandoulière ses confrères occidentaux. Porté par la très belle performance de l’acteur Niels Schneider, le portait ne vire jamais à l’hagiographie besogneuse. Tour à tour complexe et ambigu, héroïque et contestable, Marchand est une figure parmi d’autres dans le chaos de Sarajevo. Ni plus ni moins qu’un élément de la tragédie qui se joue. Comment raconter la guerre que raconte le personnage principal ? Fort de cette problématique, le cinéaste ne nous épargne rien de ses horreurs, mais rien non plus de tous ses petits accommodements avec la morale ordinaire qu’il faut mettre en œuvre pour survivre et témoigner.

On est frappé par l’extrême exigence du propos, qui sans l’ombre d’un racolage honteux prend un genre (le film de guerre) pour bien autre chose que ce qu’il est le plus souvent. Cette plongée dans le quotidien avec son inévitable cortège de bassesses sonne sans cesse juste, parce que le cinéaste refuse d’entrée de jeu de sombrer dans le protocole spectaculaire. Filmer la guerre avec héroïsme, c’est l’assurance de tomber dans un piège moral et esthétique redoutable. La montrer comme ici à hauteur d’hommes, en armes ou non, relève de la salubrité publique. On saura gré enfin au cinéaste d’avoir refusé toute idéalisation du métier de journalisme de guerre. Ni soldats engagés ni témoins à l’objectivité illusoire, ces professionnels nous sont montrés tels qu’ils sont : dérisoires et nécessaires, pathétiques et contradictoires.

Le film de Guillaume de Fontenay ne cache rien de tout cela et s’avère être une des belles surprises cinématographiques de cette fin d’année.

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Décembre 2019 - Causeur #74

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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