Alors qu’un petit tiers de musulmans pratique un islam séparatiste tout en accusant la République de tous les maux, une majorité de Français rejette la demande de visibilité identitaire qu’est le voile. On ne refera France ni par la violence ni par la complaisance mais en conjuguant les séductions de notre mode de vie et la fermeté de la loi.
L’histoire se répète, et toujours pas sous forme de farce. Trente ans après les foulards de Creil, la France se déchire à nouveau sur le voile islamique. Du reste, de la loi de 2004 qui le bannit de l’école à celle qui proscrit la burqa en 2010, de la bataille de Baby Loup aux accompagnatrices de sorties scolaires, la querelle n’a jamais vraiment cessé, enflammant à intervalles réguliers le débat public qui tend à se réduire à l’affrontement de certitudes irréconciliables.
Archipel d’imaginaires hermétiques entre eux
Nous tournons en rond, mais nous ne revenons pas à la case départ, nous nous enfonçons chaque jour un peu plus sur un chemin qui semble ne mener nulle part. En trente ans, la violence terroriste s’est installée dans notre quotidien, compliquant encore la discussion. Et la France est devenue cet archipel d’imaginaires presque hermétiques les uns aux autres que décrit Jérôme Fourquet. « Laïcité », « République » sont des mots-valises dont on se réclame du CCIF aux identitaires, mais les valises sont vides. Quant au « vivre-ensemble », le mot fait rigoler tout le monde, ce qui devrait faire réfléchir les apôtres de la chose. Voilà en effet belle lurette que nous ne vivons plus ensemble, mais côte à côte. Et il y a quelques raisons de craindre avec Gérard Collomb que ce côte-à-côte ne devienne un face-à-face. « Les guerres civiles commencent toujours à bas bruit », rappelle Jean-Pierre Chevènement dans Le Point [tooltips content= »Jean-Pierre Chevènement : « Les guerres civiles commencent toujours à bas bruit », propos recueillis par Jérôme Cordelier, Le Point, 10 octobre 2019. »](1)[/tooltips].
Alors, on se dit qu’on en parle trop. Que ça ne sert à rien, sinon à nourrir un peu plus les ressentiments et les incompréhensions. Que ça ne fait qu’énerver ou blesser des musulmans lassés d’être au centre de l’empoignade publique. Dans les rédactions, bien avant l’attentat de Bayonne qui a fait deux blessés le 28 octobre, la consigne est de mettre la pédale douce sur toutes ces histoires et de ne pas en faire trop sur les sondages qui montrent, chez nombre de Français, un rejet non pas de l’islam, mais de sa demande de visibilité, qu’ils jugent exorbitante. Passons à autre chose, demande la députée Aurore Bergé qui, partie bille en tête pour soutenir Jean-Michel Blanquer et les propositions de loi de la droite, annonce qu’elle s’impose quelques jours de diète médiatique, c’est dire si l’heure est grave.
Un secret de famille
Le 29 octobre, au lendemain de l’attaque d’une mosquée par un sculpteur du dimanche de 84 ans, ex-candidat du Front national – dont personne n’a supposé qu’il fût un déséquilibré bien qu’il ait voulu, semble-t-il, « venger l’incendie de Notre-Dame », le camp pro-voile a le triomphe grave : on vous l’avait bien dit qu’à force de ressasser sur ces sujets, vous alliez attiser la haine. Les journalistes ayant déniché, sur le compte Facebook de l’auteur, un message adressé en 2014 à Éric Zemmour, ils volent promptement de la conséquence à la cause. « Le suspect était un fan de Zemmour », titre Marianne. Inutile de préciser que ceci explique cela. Pour le recteur de la mosquée de Lyon, ce sont les heures de débat télévisé qui ont « poussé des gens à bout ». L’acte terroriste (tant que l’on n’a pas découvert qu’il réglait une affaire de famille ou un conflit de propriété, il s’agit bien de terrorisme) de Claude Sinké n’a pas la moindre excuse. Mais peut-on croire qu’il a été inspiré par le café du commerce télévisuel, et pas par les multiples agissements, provocations et violences d’un islam rigoriste qui, tout en jurant qu’il n’aspire qu’à vivre en paix, accuse la France de tous les maux et tend à séparer ses adeptes du reste de la communauté nationale ? Sous prétexte de combattre la violence, objectif louable s’il en est, ces allégations visent à faire taire toute critique – puisque la critique mène à la violence.

Le silence n’a jamais fait régresser l’incompréhension, voyez Freud ou Bergman. Et le déni ne résout pas les problèmes. À Causeur, nous nous sommes résignés, sans grand enthousiasme au demeurant, à revenir sur cette pénible polémique : pas pour pourrir un peu plus l’ambiance, déjà franchement plombée, mais dans l’espoir de contribuer à une tâche modeste autant qu’essentielle
